Image de fond Image de fond

L'arrivée au front

Après le départ de plusieurs renforts vers les zones de combats, c'est au tour du détachement de Maurice Digo de prendre le chemin du front en mars 1915. Il rejoint son régiment, le 146e RI, qui occupe le secteur d'Ypres, dans les Flandres belges, depuis novembre.

Maurice Digo connaît son baptême du feu le 5 avril 1915, lors d'une relève. Les premiers jours de tranchées sont très pénibles pour le soldat. Le froid, la pluie et la répétition des marches l'épuisent à un tel point qu'il s'évanouit de fatigue. Comme six de ses camarades, il est évacué du front le 9 avril. Le lendemain, un train sanitaire le transporte à Gravelines où il est soigné dans l'hôpital-caserne Varennes.


Mars 1915

Mardi 2 mars

"Service de garde avec Billon et Collin.
J'apprends, ce soir, par des camarades qui passent, qu'un départ est en préparation. Au dernier moment, on aurait ajouté sur la liste le nom de tous les hommes de garde.
Rien qui puisse me surprendre, car c'est une habitude de Fougeux, mais tout de même cela me donne un coup.
"

Vendredi 5 mars

"Messe 6 h. Adieux à M. Albignac.
Départà 8 heures, musique en tête. Le détachement est un des plus importants que, depuis notre arrivée, j'ai vu quitter la caserne.
Embarquement, wagons de voyageurs. Départ à 9 h 40.
Collin qui fait partie du détachement et commande une section m'a placé près de lui, dans un angle, ainsi nous pouvons causer
".

Samedi 6 mars

"Au petit jour le train stationne sur le pont de Tarascon. Beaucaire.
Descendu à Avignon acheter quelques cartes, je dois sauter, en marche dans le train, qui partait, doucement au milieu de l'énorme agitation de la gare. Traversée de Valence et de Lyon sans arrêt après une course rapide dans la magnifique vallée du Rhône.
On ne voit partout que trains de troupes et de matériel.
Dans la soirée, longue pause à Mâcon, quais et gardes sont envahis par des soldats de toutes armes courant, criant, gesticulant.
Comme je ne puis dormir, j'essaie de déchiffrer au passage les noms des stations : Chalons-sur-Saône, Dijon, Tonnerre.
Petit jour à Laroche (Yonne). Ereinté, je m'allonge au milieu du compartiment, entre les pieds d'un copain où j'ai pu dormir un peu
".

Dimanche 7 mars

"Dans la banlieue parisienne, une foule des Dimanches stationne aux barrières. Comme la marche du train est lente, coupée de nombreux arrêts, on nous jette des fleurs et des cigarettes.
Au Bourget, le soir et une partie de la nuit.
Passage à Chantilly, Clermont, Montdidier, Amiens, Abbeville
".

Mardi 9 mars

"Très bonne nuit sur la paille fraîche. Corvée de vivres. Embarquement à 9h. Débarquement définitif à Bergues vers midi.
Cette petite ville est ravissante, mais la traversée au pas cadencé ne permet pas de voir grand chose.
Passage à Rexpoede. Cantonnement dans une vaste grange à 2 kilomètres d'Oost-Cappel, village frontière.On entend le canon au loin
".

Jeudi 18 mars

"Mauvaise nuit. Fièvre. La paille n'est plus qu'une poussière grouillante de puces et de poux, les rats s'y promènent, et notre ingéniosité ne parvient pas à protéger les musettes de leur rapine".

Lundi 29 mars

"Exercice à 8 heures. Un avion allemand laisse tomber une bombe qui nous colle à terre, sans casse, mais le chef de section reste pantois et nous fait rentrer dare dare.
Dans la soirée, 2 bombes pour la gare
".

Dessin d'une grange à Oost-Cappel en mars 1915 (12Z88)

Dessin d'une grange à Oost-Cappel en mars 1915 (12Z88)


Avril 1915

Lundi 5 avril

"Distribution de calottes hémisphériques en tôle qui s'ajustent sous le képi. Protection contre les balles ???
Départ, le soir à 7h. Il pleut. Le chargement mouillé est écrasant. Embouteillage avec la relève anglaise à la porte de Menin. Pauses à Potyse et Frezenberg. Dans la nuit d'encre, les fusées surgissent, aveuglantes accentuant le désordre. Le milieu des routes belges étant pavé est encombré de convois qui nous rejettent dans la vasière des banquettes. En tête, le capitaine Chanteclair tente d'une voix glapissante le ralliement des groupes dispersés de la Compagnie, mais nous sommes écrasés d'une telle fatigue que chacun lutte pour soi seul dans le double bain de la sueur et de la pluie.
En arrivant à Zhonebeke, traversée d'un rideau de balles perdues, la colonne est coupée devant moi et j'hésite bloqué par une nappe d'eau. Le camarade qui suit m'engueule et me pousse en avant, j'enfonce jusqu'au genou et barbote. Maintenant tout est comme cela : de l'eau, des vasières, des chûtes, les sifflement des balles, une fatigue mortelle, la furieuse tension de l'être vers le but inconnu en pleine nuit noire
".

Mercredi 7 avril

"La corvée de soupe a ramené le cadavre du camarade manquant, retrouvé à l'entrée du boyau, une balle dans la tête.
Vers 4 heures, comme je somnole un obus tombe sur le parapet. Avant que j'aie pu faire un mouvement, les sacs éventrés se vident, assommé et enterré je perds connaissance.
Plus tard, Quétié, mon voisin qui a pu se dégager seul, me ranime après m'avoir déterré.
Certains me conseillent d'aller au P.S. qui m'évacuera, d'autres prétendent qu'ignorant la disposition des cheminements, j'ai toutes les chances d'être tué avant d'y parvenir. Je me décide à attendre la relève.
Entre les heures de garde, je me tiens immobile, recroquevillé dans un coin que m'a organisé Quétié. Les alertes se multiplient, mais je suis trop déprimé pour en prendre connaissance.
Il pleut, tout est déliquescent. Les parapets s'écroulent, mettant à jour des cadavres, les feuilles débordent dans le ruisseau qui stagne au fond de la tranchée
".

Vendredi 16 avril

"Je constate que la boîte est extrêmement sale, les soins rares (le médecin ne passe que tous les 2 jours), que les 3 infirmiers prêtres, chargés du service font la pluie et le beau temps, mais pas le moindre travail.
Soins, ménage, lavage de vaisselle sont faits par les malades et j'apprends qu'une petite équipe spécialisée se raccroche par ce moyen et passe en maille quand se produit un vidage
".

Vendredi 23 avril

"Arrivée à l'hôpital d'un lot de "Joyeux" blessés au cours de la contre-attaque d'hier soir. Certains ont le visage et les mains tuméfiés, ils prétendent que les lignes étaient envahies par une nappe de vapeurs irrespirables ayant déjà produit de lourdes pertes quand les boches ont attaqué".

Dessin de sa chambre à l'hôpital de Gravelines (12Z88)

Dessin de sa chambre à l'hôpital de Gravelines (12Z88)