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1918, une année tragique pour Digo

En mars 1918, Maurice Digo subit une violente attaque au gaz. Très touché, il passe plusieurs mois de convalescence à Nantes. En août, il apprend la mort de son frère André sur le champ de bataille.


Mercredi 9 janvier

"Thermomètre à -24°. On se serre autour des poêles".

Samedi 19 janvier

"Après quelques heures de sommeil au fond d’une sape étouffante, examen de la situation et organisation du service.
Le bouleversement du Secteur est épouvantable.
Devant nous, quelques pans de murs marquent l’emplacement d’Haumont. A droite le bois des Caures n’est plus indiqué que par un vague semis de piquets noirs et déchiquetés. A gauche, de boueux ravins descendent vers la Meuse. La 1e ligne allemande est à peine visible, la 1e Ligne française est constituée par une série de trous sans aucune liaison.
Pendant le jour toute circulation à découvert est impossible et les souffrances que doivent endurer les unités en ligne sont indescriptibles
".

Mardi 22 janvier

"Grande activité des deux Artilleries. Dans les ravins, les gros calibres s’abattent avec un fracas formidable.
La pluie a cessé, mais le sol saturé s’égoutte dans les sapes. Il faut écoper sans répit pour maintenir un niveau d’eau raisonnable et protéger les couchettes.
A la nuit, un bombardement extrêmement violent s’est déclenché vers 304.
Une masse énorme de fumée s’étend sur le bled et l’inquiétude des deux Infanteries se traduit par un envoi d’artifices poignant et confus.
Je songe à André dont le régiment doit se trouver dans ces parages
".

Mardi 12 mars

"Mise à jour à fin Mars des notes relatives aux événements postérieurs à l’après-midi du 12.
Vers minuit commence un bombardement par obus à gaz, d’abord dispersé, puis concentrée sur la deuxième position : Observatoire, abris Gascogne, ravin de Vaudoine.
Avec une grande régularité, l’artillerie tire des salves de quatre coups qui explosent mollement dans la terre remuée.
L’effet moral est nul. Les masques ont été ajustés et chacun à son poste attend l’heure d’attaque sans énervement.
La nuit est claire, l’air est calme. De l’observatoire on voit distinctement la masse laiteuse des gaz envahir les ravins et s’accrocher, à flanc de coteau et sur les crêtes, dans la moindre dépression.
Ayant un instant retiré le masque, je perçois différentes odeurs : menthe, ail, moutarde (dominante) jus de carotte. Les vêtements sont imprégnés
".

Mardi 13 mars

"Tout le paysage visible baigne dans une nappe bleuâtre.
Les points de chute, petits trous noircis de poudre contiennent des fragments d’obus croix jaune (Yperite) et croix verte (Palite, Surpalite). En 7 heures de marmitage, 400 obus sont tombés sur l’ensemble des abris Gascogne-Vaudoine et les guetteurs en ont compté 20 sur les seules issues du P.C.
Près de la route Vachereauville-Samogneux, une dizaine de gars en corvée de matériel ont posé leurs fardeaux et vomissent, mais ils n’ont pas l’air de prendre cela au sérieux et rigolent. Cette contradiction avec les mesures d’affolement que provoque généralement en 1e Ligne l’ « Alerte aux gaz » me surprend […].
13 heures au Talou, Wagner qui est de service, s’effondre subitement et se met à vomir. Son aspect inspire de telles inquiétudes que je le fais évacuer immédiatement.
Maintenant on ne rigole plus.
Je commence moi-même à souffrir : estomac, yeux, gorge.
13 heures 30. Évacué Gommery et Grangeon.
A 14 heures, le Commandant téléphone SURVEILLANCE ATTENTIVE-TRANSMETTRE RENSEIGNEMENTS D’URGENCE.
Je suis seul, les yeux noyés, vomissant, hoquetant.
En bas, sur la route, commencent à défiler de petits groupes aveugles qui guident les brancardiers […]. 17 heures 45. Chardin me conduit au Poste de Secours qui a déjà fait plus de 200 évacuations. Les deux toubibs débordés n’arrivent plus à discipliner l’exode vers l’arrière.
Les plus touchés poussent des hurlements, se roulent à terre, aggravant leurs souffrances au contact des vomissures.
18 heures 30, je remets mon Tissot, passe les consignes et prends place dans la processions titubante des gazés.
19 heures ? P.S. de Vachereauville
20 heures ? Ambulance de Glorieux. Aveugle, aphone, fiévreux.
Parqués à même la terre, vomissant les uns sur les autres, il paraît que nous sommes plus de 500 et que le service médical est débordé
".

Vendredi 15 mars

"Le baraquement retentit de gémissements, de cris, de rauques imprécations. Aux souffrances terribles des yeux, de la gorge, de l’estomac, viennent peu à peu s’ajouter de nouvelles souffrances : l’eau qui s’écoule des yeux creuse dans l’épiderme de brûlantes ravines, toutes les parties du corps qui ont été en contact avec le sol, avant-bras, jambes, fesses et spécialement les parties se couvrent de pustules qui provoquent une cruelle démangeaison et rendent infernal le contact du linge [...].
Dans l’après-midi, Lucien Fédou qui se trouve dans ma salle et n’est pas complètement aveugle, part en reconnaissance. Il ramène un infirmier qui fait une distribution de tisane et m’aide à retrouver une de ces cartes postale préparées d’avance à la veille des coups durs pour rassurer la famille […].
La fièvre, par instants, semble apaiser les atroces brûlures. Je rêve d’une formidable explosion qui détruirait le Monde d’un seul coup ou bien d’une sorte de paralysie des armes qui permettrait une fraternisation générale et nous ramènerait chacun chez soi. Je m’emploie à imaginer longuement le détail de ces chimères, puis la fièvre s’apaise et la douleur s’exaspère"
.

Maurice Digo (12Z94)

Maurice Digo (12Z94)

Lundi 1er avril

"Mauvaise journée. Souffrance et température. Commencement de furonculose. La nourriture composée presqu’uniqment d’omelette sans aucun assaisonnement est agréable et bien préparée, mais les soins sont réduits à la plus simple expression et le linge est sale.
Visite de la comtesse de Bourbon, envoyée par la baronne Cochin. Elle m’attendra demain chez elle. J’accepte.
Une lettre de Nantes m’annonce le départ de Georges pour le Front
".

Lundi 8 avril

"Mauvaises nouvelles de la maison.
Mauvaises nouvelles des copains.
Chardin m’écrit qu’on réforme hâtivement le Régiment
".

Samedi 20 avril

"Je dois être évacué sur Nantes (décision ministérielle). Aucune explication".

Lundi 22 avril

"Arrivée à Nantes 2 heures du matin. Famille à la gare.
J’apprends que mon transfert à Nantes a été réclamé par la baronne Cochin.
Déjeuner à la maison. Entrée à Broussais à 13 heures. Chambre 62, au 1er étage au dessus du bureau des entrées.
Visite médicale à 15 heures
".

Lundi 27 mai

"La grande bataille qui se poursuit sur plusieurs fronts se traduit à l’arrière par un monstrueux envahissement de blessés. Il faut donc de toute urgence faire de la place.
A 9 heures et 14 heures, visite de tous les blessés et malades levés.
Je suis proposé pour un congé de convalescence d’un mois avec soins et visite si nécessaire
".

Vendredi 7 juin

"Sans nouvelles depuis longtemps des camarades du 146, j’apprends aujourd'hui qu’engagée en pleine retraite dans la région Longpont-Villers-Cotterets, la 39e D.I. à peine reformée vient d’être à nouveau décimée.
L’abbé Albignac dans une lettre pessimiste m’indique que le Dépôt ne sait rien de précis, mais que le désastre semble complet et définitif. La Division aurait été écrasée vers le 30, après débarquement à Bazochesé
".

Mardi 18 juin

"Ouverture phlegmon Saint-Stanislas.
Les jours passent. Il va falloir retourner là-bas.
Ma feuille de route est établie pour le Dépôt de Castelnaudary, mais j’ai pris le parti de rejoindre directement le Front.
A quoi bon, en effet, pour quelques jours de répit, passer par ce bagne où le blessé, retour d’hôpital est écrasé de corvées, crève de faim est puni, mécanisé jusqu’à ce qu’il se révolte et demande à partir au prochain renfort ?
".

Samedi 20 juillet

"L’ensemble des COMMUNIQUES fait maintenant une place importante aux Troupes américaines.
Il semble que les Alliés opèrent un regroupement de leurs effectifs décimés sous la Couverture jeune et vigoureuse des U.S. pour tenter ensuite une offensive générale.
Ceux qui viennent de l’arrière signalent un véritable envahissement de troupes kaki [...].
Je suis sans nouvelles d’André qui doit se trouver en Champagne où le Commandement cherche à disloquer le Dispositif allemand à coup de contre-offensives…
".

Vendredi 26 juillet

"Mauvaise nuit. Les ravages de l’intoxication se développent dans les organes déjà les plus touchés : les yeux et les bronches.
Visite du champ de bataille et des ruines de Courtaut
".

Vendredi 2 août

"Messe matinale en souvenir des mes amis Bertrand et Chardin.
L’après-midi on distribue le courrier bloqué depuis 12 jours. Plusieurs lettres de la Maison, mais aucune d’André. Je suis très inquiet
".

Samedi 3 août

"Une lettre de l’Epouse m’annonce qu’André, disparu depuis le 22 juillet a dû (d’après les renseignements reçus) être fait prisonnier.
Maintenant, je n’ai plus aucun espoir. Les disparus de la dernière offensive ne sont pas prisonniers
".

Lundi 12 août

"Réveil en sursaut par les vociférations du Colonel. On s’empresse de déguerpir.
L’Observatoire : P.O. PERCHOIR est constitué par une plate forme qui se balance sur les hautes branches d’un arbre, à 20 mètres au dessus du sol.
On y accède par une succession d’échelles dont l’amarrage laisse à désirer. Etude du secteur.
Première constatation : La Position de soutien, placée sous la surveillance spéciale du P.O. PERCHOIR est totalement invisible.
Mais le panorama est magnifique et la solitude au milieu de cet océan de verdure, propice à l’évocation des souvenirs.
Je pense à mon frère André, mon meilleur ami, que je ne reverrai plus.
Il avait fait ses débuts ici même sous les ordres d’un adjudant féroce qui l’obligeait à tirer dans un disque de la voie ferrée près des Paroches. Les sentinelles allemandes excitées demandaient le barrage et quand les premières rafales bousculaient les parapets, l’adjudant filait vers son abri, très fier d’avoir trouvé le moyen de dresser la bleusaille en secteur calme.
Je me souviens des premières lettres, donnant, au mépris des règlements divers renseignements sur la vie en 1ère ligne. (…)
Je fixe ce disque rouge, au loin, et l’un après l’autre tous les détails du paysage. Une douleur cruelle et sans espoir est tout ce qui me reste d’une si précieuse amitié PERDUE PERDUE PERDUE
A 22 heures, je suis toujours là. On m’appelle au Colonel.
Un télégramme vient confirmer cette certitude que j’avais déjà
".
 
Mercredi 13 août

"On me signe la permission de deuil".

Les trois frère Digo en permission en février 1918 : Maurice, alors âgé de 26 ans, accroupi ; André, 21 ans, debout à gauche ; et Georges, 19 ans, qui vient de s'engager dans l'artillerie (12Z96)

Les trois frère Digo en permission en février 1918 : Maurice, alors âgé de 26 ans, accroupi ; André, 21 ans, debout à gauche ; et Georges, 19 ans, qui vient de s'engager dans l'artillerie (12Z96)