La convalescence et le retour au dépôt
À la fin du mois d'avril 1915, Maurice Digo est transféré de l'hôpital de Gravelines à celui du Tréport, installé dans le casino. Le 13 mai, il arrive à Nantes pour un congé de convalescence. Mais ce séjour nantais est très bref : dès le 22 mai, il repart pour Castelnaudary, le dépôt de son régiment. Il y passe de nouveau plusieurs mois, avant de repartir pour le front en juillet 1915.
Mai 1915
Jeudi 6 mai
"Enterrement du zouave Paul Philippe Anglade, intoxiqué à Ypres dont l'agonie a été terrible, puis d'un officier anglais qui s'est jeté du haut de la falaise".
Jeudi 13 mai
"Départ à 8 h assez vaseux, erreur de train, l'express me passe devant le nez vers 9h. Arrivée au Mans à 1h30. Une armée de sentinelles bloque toutes les issues, impossibilité de sortir et même de déjeuner. Départ à 4h. Angers à 7h. Très bon accueil et soupe chaude dans un abri pour soldats, installé près de la gare. Visite de la cathédrale. Bonne paillasse et couverture. Aux heures de trains, un veilleur civil passe réveiller les dormeurs suivant les indications données. Départ minuit. Arrivée à Nantes 3 h du matin, fourbu.
Congé de convalescence de 7 jours".
Dimanche 23 mai
"L'après-midi à 2 heures, arrivée à Castelnaudary. Visite à M. Albignac. Cafard".
Mercredi 26 mai
"Laurent, qui a réussi à s'embusquer au bureau de la mobilisation et Léonce à celui du vaguemestre me renseignent sur les mouvements du régiment depuis mon évacuation.
Parti de Belgique aussitôt terminée la relève par les Britanniques, il a pris part aux attaques de début de mai en Artois. Avortement des diverses tentatives de percée. Meurtrières opérations de détail. Vidage des hôpitaux et du dépôt. Le bilan de ces combats est terrifiant. On appelle Neuville-Saint-Vaast, le cimetière du 146ème. La plupart de nos camarades y sont restés : Ferré, Billon, Collin, Nicolas, Grégeard, Roussel, Delalande.
Dans la chambre du bon père Albignac, nous évoquons le souvenir de ces beaux et braves gars que nous ne reverrons plus. Je suis terriblement cafardeux".
La 12ème compagnie du 146ème régiment d'infanterie avant l'attaque du 9 juin 1915 à Carency, en couverture d'illustré (12Z97)
Juin 1915
Samedi 5 juin
"Chaque jour, la promenade obligatoire des vacués nous conduit vers un site approprié au thème d'une petite manoeuvre : le canal, château et parc des Cheminières, château des Plats, Saint-Papoul, route de Revel.
Aujourd'hui, à la suite d'une marche d'épreuve, les effectifs du dépôt ont été divisés en 3 groupes : P.E. (petit entrainement), G.E. (grand entrainement), D. (départ). Je fais partie du P.E. On dit ici : petit enterrement, grand enterrement".
Vendredi 11 juin
"Garde au Poste, à la Grille et au Local disciplinaire, dans une petite cour étouffante en plein soleil.
À 10 heures, marche de nuit. Pendant la pause, je me coule dans un fossé et quand, deux ou trois heures ensuite la compagnie repasse, j'emboîte le pas et rentre avec elle".
Vendredi 18 juin
"À huit heures, au terrain de manoeuvre. Revue par le général de Division Paul Durand. Escrime et charge à la baïonnette. Défilé, musique, félicitations et discours du général, qui termine par quelques instructions destinées aux soldats et gradés qui n'ont pas encore pris part à une opération offensive. Je n'en puis retenir que celle qui semble-t-il les résume toutes : "Franchir la distance d'assaut et la première ligne à la vitesse maximum, se retourner et frapper ensuite d'arrière en avant".
Comme nous rentrons les commentaires vont leur train. J'entends un rescapé de Morhange dire à ses voisins "Le frère est piqué. A-t-il quelquefois entendu parler du beau travail que peu faire une mitrailleuse sur un bataillon déployé à distance d'assaut".
Mardi 29 juin
"Tir. Pendant la pause, un orage torrentiel nous trempe jusqu'aux os. Le mécontentement grandit de jour en jour dans le Dépôt. La nourriture est mauvaise et insuffisante. Tous les moyens de pression sont mis en oeuvre pour obtenir des départs de volontaires : avalanche de punitions, absence de soins et brimades au groupe des convalescents, renforcement des consignes relatives au départ des détachements qui sont maintenant parqués 48 heures sous la menace de sentinelles ayant ordre de tirer à la première velléité de fuite.
Un jeune caporal relevé d'un poste de garde sur la frontière espagnole affirme que la densité des lignes de sentinelles est très affaiblie, par conséquent la désertion relativement facile et d'autant plus abondante".
Juillet 1915
Vendredi 2 juillet
"Le capitaine qui part ce soir rejoindre le 146 en campagne a bien autre chose à faire que s'occuper des punitions et c'est heureux, car un télégramme m'annonce aujourd'hui la naissance d'Yvon. Je dépose au bureau une demande de permission.
Ce soir, promenade avec Léonce, Dupas et ce pauvre Dandignac dont le frère vient d'être tué en Artois".
Lundi 5 juillet
"Exercice route de Toulouse.
Reçu un titre de permission pour 4 jours. Départ à 6 heures".
Vendredi 16 juillet
"Rassemblement par bataillon et retour précipité à la caserne. Appel et visite, c'est-à-dire défilé devant l'infirmerie. Malgré les protestations, tous les hommes désignés partiront.
Je ne retrouve ce soir que Besse, qui, avec son habituel ricanement, me félicite de quitter enfin le Dépôt".
Samedi 17 juillet
"Le détachement est équipé à neuf : nouveaux sacs de toile grise, nouvelle tenue bleu-clair".
Dimanche 18 juillet
"Le tumulte est à son comble. Des lumières sont restées allumées toute la nuit dans la caserne. Quand je reviens de la messe de 6 heures, le quartier est consigné. Des sentinelles ont été placées à toutes les issues.
A 9 heures, le Commandant Fiat passe le détachement en revue sans parvenir à rétablir le calme. Le pinard continue à couler. On tire des cartouches à blanc,
On démolit le matériel, on balance les lits par les fenêtres.
Le commandant énervé rassemble ses gradés, fonce d'un bâtiment à l'autre, double les sentinelles et distribue des cartouches sans autre résultat qu'aggraver l'effervescence.
Le départ a lieu tout de même à 2 heures 30, mais le désordre est tel qu'on a dû renvoyer la musique.
Embarquement laborieux. Foules des Indigènes aux barrières. On crie «A mort Fiat» «Le commandant au canal»
Avec un gros retard, le train démarre à 3 heures 30".