Le voyage du Stella pour la fête nationale de 1900
Depuis que l’aérostation est en vogue, il ne se passe pas une fête du 14 Juillet sans une ascension jusqu’au début du 20e siècle. Chaque année, la population nantaise peut assister à une retraite aux flambeaux, une revue, des illuminations, des feux d’artifice, et bien entendu l’envol d’un ballon. L’une des plus fameuses ascensions donnée à Nantes lors de la fête nationale est celle de 1900, sur deux jours consécutifs, du 14 au 15 juillet.
Cette année-là, un aérostat nommé Stella de 2000 m³ décolle pour une expédition à but scientifique avec quatre personnes à bord. Parmi elles, se trouve Auguste Nicolleau, membre de l’Académie d’aérostation météorologique de France. Passionné par l’aérostation depuis sa première ascension effectuée à Nantes en 1886, il fait de nombreuses ascensions dans la ville. Recourir à ses services était d’autant plus avantageux pour la municipalité qu’il demandait des frais moins élevés que ses confrères aéronautes (300 francs pour faire voler deux à trois ballons). En 1893, des conditions météorologiques l’empêchent de réaliser l’ascension en solitaire qu’il avait prévu pour la fête du 14 juillet. L’année suivante, il déclare, dans une lettre du 11 mai 1894, être bien décidé à renouveler l’opération en effectuant cette fois un voyage mémorable au cours duquel il se servirait « d’instruments de précision confiés par le directeur de l’Observatoire météorologique de la tour Saint-Jacques ».
Programme de la fête du 14 juillet 1900 (6Fi10232)
En 1900, à bord du Stella, Auguste Nicolleau est accompagné de François Peyrey, rédacteur au Siècle ; de Francis Le Bihan, aide météorologique à l’Observatoire du Petit-Port ; et de Roger Girod, rédacteur au Phare de la Loire. Dans la nacelle, ils embarquent avec eux des instruments de précision pour les observations météorologiques que Le Bihan doit mener, ainsi que des pigeons voyageurs. Ceux-ci doivent servir à transmettre des dépêches en cours de route, afin que les aéronautes communiquent leurs impressions, mais également des questionnaires que les habitants spectateurs doivent remplir après le passage du ballon afin de permettre de retracer très précisément l’itinéraire du voyage. On sait ainsi que le Stella est parti de Nantes le 14 juillet à 18 h 30 pour voler jusqu’au 15 juillet à 9 h 30, parcourant l’équivalent de 180 km à travers la Loire-Inférieure (actuelle Loire-Atlantique), le Maine-et-Loire et les Deux-Sèvres.
L’article du 15 septembre 1900 du Populaire (5PRES27) nous permet lui de connaître les détails des préparatifs précédents l’expédition aérienne. Le journaliste nous apprend que cette année-là, l’ascension faillait être encore annulée. En effet, lors du gonflement du ballon sur le cours Saint-André, une large déchirure se fit sur l’enveloppe de l’appareil. Heureusement, ce problème inattendu fut solutionné mais retarda l’ascension du ballon. Ce n’est que vers 16 h que celui-ci, à demi-gonflé, commença à prendre forme, et vers 17 h les quatre aéronautes y accrochèrent la nacelle. Un quart d’heure plus tard, afin d’étudier la direction du vent, des ballons d’essai furent lancés et indiquèrent un vent de sud-ouest propice. Nicolleau fut le dernier à monter à bord, après avoir vérifié une nouvelle fois toute son installation.
À 17 h 29, enfin, le Stella s’élève lentement au son de la fanfare de l’usine à gaz jouant La Marseillaise, puis Le Chant du Départ, accompagnée par les acclamations d’une foule conquise. La force ascensionnelle peu importante à ce moment de la journée faisait que l’appareil ne s’élevait qu’à 300 m de hauteur au plus. Les spectateurs purent donc profiter du voyage du ballon pendant un long moment, avant de le voir disparaître dans la direction de la gare d’Orléans.
De leur ascension, Roger Girod et Francis Le Bihan tirèrent un livret, intitulé Un Voyage de la Stella. Le premier raconte comment il a vécu ce voyage dans les airs, de façon si précise et si détaillée que le lecteur semble vivre cette expérience. Basées sur ses notes écrites dès le lendemain de l’ascension, son texte transmet véritablement toutes les émotions et sensations qu’il a éprouvé lors de ce voyage aérien. Ses premières impressions concernent le paysage qu’il voit depuis la nacelle : il parle « de panorama gigantesque », et dit même « comme c’est tout petit cela, et quelle triste impression vous fait la terre vue d’en haut ». Il manifeste alors ce sentiment commun à tous les aéronautes, celui de la chance de jouir d’un tel spectacle : « nous nous regardons en souriant, et ce sourire en dit long ; la ville scintille au-dessous de nous, et nous sommes charmés ». Tous ceux qui ont eu l’opportunité d’effectuer des ascensions connaissent alors cette même sensation à la fois impressionnante et réjouissante, de dominer le monde, de constater que tout est petit. Girod déclare que « tous les bourgs ont l’air de se trouver à quelques centaines de mètres les uns des autres ». Quant au ballon en lui-même, il explique que ce dernier conserve par moment un balancement très doux, pouvant être suivi soudainement d’une vibration nerveuse et saccadée qui n’est pas pour rassurer ses voyageurs.
Les quatre aéronautes n’hésitent pas à écrire des messages tout au long du voyage afin que « tous les habitants de la terre sachent que nous sommes gais ». Cette ascension, même si elle sert à réaliser des observations météorologiques, est surtout l’occasion de bénéficier d’un spectacle sensationnel et unique en son genre, et d’être le témoin de choses dont le reste de la terre n’a pas accès. Girod évoque ainsi « une énorme lune, droit devant nous, couleur framboise, magnifique, toute ronde, qui nous sert de phare, au milieu d’un silence si majestueux que nous sommes presque troublés. C’est inoubliable, et je voudrais pouvoir dépeindre ce spectacle, mais il n’y a pas de mots pour cela ».
Carte retraçant le voyage parcouru par les quatre passagers durant l'ascension, reproduite dans "Un Voyage de la Stella" (I1C48D5)
Ce transport aérien n’est cependant pas de tout repos et offre également quelques frayeurs à ces passagers. Ainsi, il leur arrive à plusieurs reprises d’être confrontés à des obstacles, telle une haie qu’ils frôlent de si près, qu’ils ont tous la certitude de la heurter ; en réalité, le fait de la toucher provoque au ballon un léger sursaut qui le fait remonter puis redescendre, provoquant alors une émotion palpitante aux aérostiers. D’autres péripéties sont provoquées par l’enthousiasme un peu trop fort des habitants croisés en chemin. Girod parle ainsi du passage au-dessus de Melay, où des habitants un peu trop exaltés par l’arrivée d’un ballon, souhaitent que les aéronautes descendent les rejoindre pour boire un verre. Pour cela, ils n’hésitent pas à empoigner la corde du guide-rope, obligeant alors le ballon à descendre vers le clocher du village, « un clocher qui nous parait aigu comme une aiguille et qui nous menace ; nous allons être embrochés ». Plus tard, vers 2 h 30, dans les Deux-Sèvres, les aéronautes connaissent d’autres problèmes à cause du manque de lest, qui maintient la nacelle à 10 centimètres du sol, mais qui pour autant ne laisse pas échapper ses occupants. Girod explique qu’il est « impossible de fouler cette terre que nous frôlons ». En effet, lorsque Le Bihan essaye de poser le pied à terre, la nacelle rebondit d’un coup, en raison de l’allègement du ballon : « nous sommes prisonniers sans espoir ».
Lorsque le ballon reprend de la hauteur jusqu’à voler à plus de 3000 m, le panorama qui s’offre aux quatre aérostiers se révèle à la fois majestueux et saisissant. Un somptueux spectacle à perte de vue et qui fait ainsi ressembler les arbres à des jouets et les maisons à des dés. « J’ai mal au coeur devant ce vide humble, affreux, immense, où nous sommes tous quatre comme de petits moucherons, de misérables petites loques suspendues par des ficelles grosses comme le doigt à une enveloppe de soir. Un souffle et il n’y aura plus rien, nous disparaîtrons ». La somptuosité du spectacle se conjugue ainsi avec un aspect plus effrayant, où chaque aéronaute a bien conscience de sa position, à la fois privilégiée mais également périlleuse. Cette combinaison d’émotions, si différentes mais si fortes, font alors tout le charme et l’attrait de ce voyage aérien.
L’ouvrage inclut également les témoignages d’habitants qui ont trouvé les dépêches portées par les pigeons voyageurs. Leurs témoignages ont permis de retracer dans le temps et dans l’espace l’itinéraire exact des aérostiers ; une carte a d’ailleurs été insérée dans le livret.
De son côté, Francis Le Bihan y partage les observations météorologiques effectuées au cours du voyage. Grâce aux divers instruments chargés dans la nacelle, il a pu étudier la vapeur d’eau, les nuages, les directions des courants, les modifications de l’atmosphère. C’est là que réside tout l’intérêt d’un aérostat pour les météorologues, cela leur permet de réaliser des observations en atmosphère libre. Le Bihan constate ainsi, par exemple, que plus l’air est sec, plus la chute de la température avec la hauteur est régulière et rapide.
Cependant, les voyages aériens purement scientifiques sont rares, car les ascensions en ballon libre coûtent cher et c’est pourquoi ce voyage est si particulier. Il a permis de réunir à la fois la dimension festive pour la population et a en même temps contribué aux avancées scientifiques.
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