Madame Blanchard, une aéronaute pionnière
Parmi les premières ascensions effectuées à Nantes, l’une d’elles est souvent citée en référence dans les journaux : il s’agit de celle effectuée par Sophie Blanchard, le 21 septembre 1817. À l’époque, les envolées de ballon ne sont alors pas si fréquentes, ce sont des évènements populaires. Cette ascension-ci est d’autant plus particulière qu’elle est exécutée par une femme (sachant que les femmes s'illustrèrent rapidement dans l'aérostation : le premier vol effectué par une femme a lieu sept ans seulement après l’invention des ballons).
Le 21 septembre 1817, il s’agit donc d’un véritable événement. Une ascension aérostatique est toujours un fait extraordinaire aux yeux du public, de par sa nouveauté et de par les risques qu’elle représente. Dans son édition du 16 septembre 1817, le Journal de Nantes et de la Loire Inférieure affirme même qu’un « voyage entrepris par l’homme au milieu des airs offre un spectacle aussi imposant que propre à exciter l’attention du savant et l’admiration de l’observateur ».
À cette époque, Madame Blanchard connaît déjà une certaine renommée, acquise au cours de ses 52 ascensions précédentes. Elle est l’une des premières aéronautes européennes : avec son mari Jean-Pierre Blanchard (1753-1809), le couple avait effectué le premier voyage de noces à bord d’un ballon à hydrogène en 1804, année de leur mariage. Son époux, qui avait déjà fait une ascension remarquée en janvier 1800 à Nantes, décède en 1809 en plein vol suite à une attaque d’apoplexie. Afin de lui rendre hommage, Sophie Blanchard décide de perpétuer son œuvre et exécute à son tour des ascensions dans toute l’Europe.
Du fait de sa renommée, le maire de Nantes décide d’annuler l’ascension de Jean-Baptiste Garnerin, initialement prévue ce jour-là, pour faire voler sa fille Élisa, âgée seulement de 14 ans. La municipalité nantaise lui avait pourtant mis à disposition un local de 30 m, avant de se rétracter en apprenant l’arrivée inopinée de Madame Blanchard, montrant ainsi que la concurrence entre les différents aéronautes avait déjà commencé.
La maîtrise des airs n’ayant plus aucun secret pour elle, Sophie Blanchard se permet de réaliser à chaque fois des ascensions mémorables. Ceci explique l’intérêt qu’elle suscite auprès de la ville de Nantes et l’enthousiasme qu’elle soulève auprès des habitants. Comptant sur sa grande popularité, elle s’engage à ce que les gains issus de la vente des billets pour assister à ces spectacles soient reversés aux indigents de la ville. Il est ainsi prévu que les recettes tirées de son ascension à Nantes soit divisée en deux parts égales : une moitié pour elle, l'autre pour les indigents. Le maire encourage les habitants de la ville à contribuer à cette noble action.
Placardée un peu partout en ville, cette affiche présente le règlement de police établi le 19 septembre, pour l’ascension de Sophie Blanchard (6Fi2085)
Dès le 15 septembre, son aérostat est exposé dans le cirque de la rue du Chapeau-Rouge, afin de satisfaire la curiosité des Nantais. Il est même proposé aux personnes munies d’un billet d’assister aux étapes préparatoires du gonflement du ballon, le 20 septembre, veille de la fête aérostatique où se produira Madame Blanchard. Ainsi, une ascension reste une attraction relevant du domaine scientifique, qui intéresse bien au-delà de son caractère festif.
Le 21 septembre, toute la population nantaise semble s'être donnée rendez-vous pour assister à l'ascension de Madame Blanchard. Cet évènement suscite une forte curiosité. Les journaux font état d'une immense foule qui se presse du côté de Chantenay dès le début de l’après-midi, tandis qu’une innombrable quantité de petites embarcations recouvre la Loire. Les habitants des campagnes voisines s'installent sur la rive opposée du fleuve pour assister au spectacle.
À 16 h, l’impatience des spectateurs massés sur les hauteurs alentours est à son comble. À 16 h 55, enfin, tout est prêt : Sophie Blanchard prend place dans la gondole attachée au ballon rempli de gaz et élève avec intrépidité son aérostat dans les airs. Au son des marches militaires jouées par la Musique de la légion, elle salue la foule avec son drapeau blanc. Les Nantais lui répondent en criant "Vive le Roi".
Ce n’est que vers 17 h 45 que le public ne parvint plus à distinguer ni l’aéronaute ni sa gondole, mais seulement le ballon qui, soumis aux différents courants d'air, se dirige vers l’ouest. Si le voyage se passe sans incident aucun, il n’en est pas de même de la descente, qui réserve quelques surprises à l’intrépide aéronaute. En effet, vers 18 h, Sophie Blanchard manœuvre son ballon afin d’atterrir dans une prairie située entre Couëron et Saint-Étienne-de-Montluc. Cependant, en s’approchant, elle comprend qu’il s’agit d’une zone marécageuse. Une corde alors attachée à sa nacelle l’empêche de relever son ballon, ce qui l’entraîne inexorablement dans un arbre auquel elle reste accrochée. Sous l’action du vent, le ballon tombe sur le côté. Plusieurs personnes ayant suivi le trajet effectué par l’aéronaute arrivent alors juste à temps pour pouvoir extirper Madame Blanchard de cette position délicate. Indemne, elle repart rapidement pour Nantes, où la fête donnée à l'occasion de l’ascension s’était poursuivie depuis son départ.
Le bordereau de dépenses et de recettes du 20 septembre 1817 indique que les recettes de la fête sont montées à 2 790,15 francs, tandis que les dépenses sont allées jusqu’à 2 341,76 francs. La Ville reverse 2 024,19 francs à Madame Blanchard : 1 800 francs pour ses frais et, tout comme les indigents de Nantes, 224,19 francs comme gains.
3 050 billets furent vendus pour l’entrée et 2 000 pour l’enceinte. Mais la déception de la municipalité est grande, elle espérait une recette bien plus conséquente en raison de la renommée de Madame Blanchard. En réalité, la présence trop faible du public au sein de l’enceinte payante peut facilement s’expliquer : les spectateurs n’ont pas jugé utile de dépenser de l’argent alors qu’ils pouvaient tout simplement observer le ballon depuis les quatre coins de la ville. On peut également penser que les ascensions n’étant déjà plus une nouveauté pour l’époque, une certaine lassitude commençait à se faire sentir auprès du public.
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