Document du mois – Sport et religion : une fête de gymnastique déchaîne les passions en 1908-1909
Au début du 20e siècle, les sociétés sportives affiliées aux patronages catholiques sont nombreuses. À Nantes, elles n’ont pourtant pas les faveurs de la mairie, qui refuse de leur accorder le droit d’organiser une manifestation sportive sur un terrain municipal. Emblématique de cette époque, l’affaire du Champ de Mars, rendue publique dans la presse, ravive les débats autour du principe de laïcité.
Sports et patronages catholiques
Créés au début du 19e siècle, les patronages catholiques ont pour but de rapprocher la jeunesse française de la religion, alors qu’une partie d’entre elle s’en est éloignée. Parmi les activités proposées pour réunir leurs adhérents, le sport est à l’honneur. Ainsi, au début du 20e siècle, les sociétés sportives affiliées à des patronages catholiques fleurissent partout en France. À Nantes, on compte notamment « la Mellinet » de Notre-Dame de Bon-Port, « la Lætitia » de Notre-Dame de Toutes-Joies, « l’Hermine » de Sainte-Anne…
Le caractère confessionnel de ces sociétés sportives est indéniable : « Les fortes âmes ce sont les prêtres qui les prépareront ; les corps assouplis et aptes à exécuter tous les désirs de l’âme, c’est aux professeurs de gymnastique à les former » déclare un évêque lors de l’office qui précède une compétition à Rezé.
Ces sociétés se rassemblent en une fédération sportive en 1898, qui prend le nom de « Fédération gymnastique et sportive des patronages de France » (FGSPF) en 1903. À cette date, elle réunit 10 000 adhérents, répartis en 200 sociétés.
Manifestation phare de la FGSPF, une grande fête de gymnastique a lieu chaque année dans une ville différente. Au programme, deux moments incontournables : le concours où se mesurent les gymnastes des différentes sociétés, et des cérémonies religieuses au cours desquelles l’évêque donne sa bénédiction aux jeunes sportifs. Cet évènement bénéficie de l’appui des autorités épiscopales, qui sont généralement investies de la présidence d’honneur de la fête.
Article de L'Express de l'Ouest du 15 août 1909 (1037W4)
L’affaire du Champ de Mars
En octobre 1908, la FGSPF sollicite la municipalité nantaise au sujet de l’organisation de ce grand concours de gymnastique le 1er août de l’année suivante. Par l’intermédiaire du commandant de Larminat, elle demande l’autorisation de se produire sur le terrain du Champ de Mars, ainsi que sur des places publiques de la ville. Mais le maire, Gabriel Guist’hau, y oppose un refus catégorique. S’ensuit un échange de courriers, que les Archives conservent.
Dans sa lettre de refus, datée du 8 octobre 1908, Gabriel Guist’hau écrit : « Notre administration républicaine sait combien il est utile de favoriser le développement des sociétés sportives ouvertes à la jeunesse ; mais elle considère que l’œuvre de ces sociétés ne peut être encouragée par les pouvoirs publics que si, comme l’École dont elles sont le complément, elles conservent, au point de vue religieux et confessionnel, un caractère de neutralité absolue ».
Une note produite par l’administration municipale témoigne encore de la méfiance des pouvoirs publics à l’égard de ces organisations sportives : « Les sociétés de gymnastique dans les patronages ont été créées dans le but d’attirer les jeunes gens, après la sortie de l’école, jusqu’à leur départ pour le régiment. Les fondateurs de ces œuvres, craignant de voir les lois de l’Enseignement leur retirer la main mise sur l’enfance, cherchent par un autre moyen à la reprendre sous sa dépendance ».
Et un membre de l’administration municipale de tirer les conclusions suivantes : « Les sociétés de gymnastiques sont des succédanés des séminaires dans notre région. Les cléricaux ont trouvé cette combinaison pour grouper les jeunes gens. Aussi je suis d’avis de bien montrer à M. de Larminat que nous ne sommes pas dupes de cette comédie ».
La presse locale s’empare de cette affaire. L’Express de l’Ouest, journal catholique régional, argumente en faveur des patronages. Dans le numéro du 15 août 1909 (visible ci-dessus, et téléchargeable ici), il publie les échanges de courriers entre Gabriel Guist’hau et les représentants de la FGSPF. Le ton est donné dès le titre de l’article : « Chronique nantaise. Le concours de gymnastique et les échappatoires d’une municipalité sectaire ». La fête de la FGSPF aura finalement lieu à la Prairie de Mauves.
Cette affaire, qui fait les choux gras des quotidiens (Le Phare de la Loire ne se prive pas, de son côté, pour critiquer les patronages, comme dans cette édition du 6 août 1909, p.3), est révélatrice d’un climat politique tendu. Nantes n’est pas la seule ville à rejeter les demandes des sociétés sportives affiliées aux patronages. Pour en comprendre les raisons, il faut se replacer dans le contexte de l’époque. Nous sommes au lendemain de la loi de 1905 sur la séparation des Églises et de l’État. Cléricaux et anticléricaux sont à couteaux tirés dans une société qui essaye de construire sa laïcité.
Pour en savoir plus
Cette fête annuelle de la Fédération gymnastique et sportive des patronages de France a lieu à la Prairie de Mauves, le 1er août 1909. Consultez les photographies de cet évènement sur le catalogue en ligne des Archives de Nantes.
Rendez-vous sur Nantes Patrimonia pour découvrir l’histoire des patronages nantais.
En cette année olympique, les Archives de Nantes vous présentent « Sports à Nantes », une exposition hors-les-murs sur l’histoire des équipements sportifs de la Ville. Du 5 juillet au 23 septembre, elle est installée à proximité du miroir d’eau. Bonne découverte !