

Document du mois - Devenir électrice à la Libération
À la libération de Nantes le 12 août 1944, une délégation municipale provisoire dirigée par Clovis Constant est installée pour faire office de conseil municipal, le temps d’organiser des élections. Celles-ci se tiennent les 29 avril et 13 mai 1945, alors que la Seconde Guerre mondiale touche à sa fin sur le territoire européen. Ces élections municipales sont aussi les premières où les Françaises peuvent exercer leur droit de vote et d’éligibilité nouvellement acquis. Pour le 80e anniversaire de cet évènement majeur pour les droits civiques des femmes, les Archives de Nantes présentent un jugement qui autorise l’inscription tardive sur les listes électorales d’une Nantaise rapatriée des camps nazis (1341W1).
Électrices et éligibles : l’entrée des femmes dans la vie politique
Après des siècles de revendication du suffrage féminin, les Françaises accèdent enfin à la citoyenneté politique le 21 avril 1944. Signée à cette date par le général de Gaulle, l’ordonnance du Comité français de Libération nationale (CFLN) portant sur l’organisation des pouvoirs publics énonce, dans son article 17, que « les femmes sont électrices et éligibles dans les mêmes conditions que les hommes ». Cette avancée historique pour l’égalité des droits politiques naît donc dans le contexte de la Seconde Guerre mondiale, durant laquelle les femmes ont activement participé à la Résistance, et répond à la nécessité de tourner la page du régime de Vichy avec l’installation d’une République moderne. La France s’aligne ainsi sur une grande majorité de ses voisins européens, qui ont déjà accordé le droit de vote aux femmes durant la première moitié du 20e siècle.
Ce n’est qu’un an plus tard, aux élections municipales organisées les 29 avril et 13 mai 1945, que les Françaises peuvent, pour la première fois, glisser un bulletin dans l’urne et se présenter aux élections. À Nantes, entre novembre 1944 et février 1945, plus de 55 000 électrices s’inscrivent sur les listes électorales pour pouvoir voter. Pour gérer ce nombre massif de nouvelles inscriptions, l’administration municipale ouvre des bureaux dans chaque canton de la ville.
Bien que la loi accorde désormais aux femmes la majorité politique, les archives de l’organisation des élections municipales de 1945 révèlent encore des inégalités dans l’accès qui leur est accordé à la vie publique. À Nantes, certains membres de l’administration municipale expriment leurs réticences à les laisser tenir la présidence d’un bureau de vote : les annotations en marge d’une note du chef de bureau des élections témoignent clairement de la persistance de stéréotypes misogynes (1341W1/32).
Des élections en temps de guerre
Ces élections municipales de 1945 sont les premières après la Libération. Si Nantes n’est plus occupée par les Allemands depuis août 1944, la guerre n’est pas pour autant terminée : les combats continuent dans la région, autour de la poche de Saint-Nazaire, et dans le reste de l’Europe. La capitulation du IIIe Reich entre en vigueur entre les deux tours, le 8 mai 1945. La reddition des Allemands retranchés dans la poche de Saint-Nazaire a, quant à elle, lieu trois jours plus tard, le 11 mai.
L’organisation des élections se fait donc dans ce contexte particulier de la fin de la guerre. À sa libération, Nantes ne compte que 50 000 habitants. Une grande partie de sa population s’est en effet réfugiée dans les communes et départements voisins pour fuir les bombardements. Son retour se fait petit à petit, dans une ville en ruines. Libérés entre la fin de l’année 1944 et le printemps 1945, à mesure de l’avancée des troupes alliées, les prisonniers de guerre, les travailleurs requis et les déportés détenus dans le IIIe Reich sont progressivement rapatriés en France.
.jpg)
Jugement rendu par le juge de paix qui autorise Jeanne Sébastien à être inscrite sur les listes électorales de Nantes, le 24 avril 1945 (1341W1)
Le Gouvernement provisoire de la République française prend en compte ces situations spécifiques. Les réfugiés, et tous ceux qui ne peuvent pas regagner leur commune du fait du conflit, ont le droit de voter par correspondance. Un délai de deux semaines est d’ailleurs laissé entre les deux tours pour faciliter l’acheminement des votes par courrier. À Nantes, environ 2 000 réfugiés participent aux élections de cette façon. Autre exception concédée en raison de la guerre en cours : les Français musulmans d’Algérie non citoyens sont autorisés à exercer le droit de vote en « France continentale » dans les mêmes conditions que les citoyens français, à condition qu’ils y résident de façon continue depuis le 3 septembre 1938.
Exercer son droit de vote au retour de déportation
Pour les prisonniers de guerre, les travailleurs requis et les déportés, l’inscription sur les listes électorales ne peut être anticipée car la grande majorité d’entre eux est encore détenue dans le IIIe Reich jusqu’au printemps 1945. C’est le cas de Jeanne Sébastien, une résistante nantaise qui a aidé des aviateurs alliés à s’évader avec le réseau « Marie-Odile ». Elle habite près de la place Canclaux, avant son arrestation le 21 septembre 1943 et sa déportation en Allemagne le 31 janvier 1944. Libérée du camp de Ravensbrück en avril 1945, elle rentre en France au cours de ce même mois. Son rapatriement intervient donc après la clôture des listes électorales, qui a eu lieu le 28 février.
Le ministère de l’Intérieur transmet les instructions suivantes aux autorités locales : « Les prisonniers, déportés et travailleurs rentrés de captivité, nés avant le 28 février 1924, peuvent voter dans la commune qu’ils habitaient avant 1939, même s’ils ne figurent pas sur la liste électorale. Leur vote est subordonné à la présentation d’une autorisation délivrée par le Juge de Paix du canton ». À son retour en France, Jeanne Sébastien saisit donc la Justice de Paix pour être inscrite sur la liste électorale de la ville de Nantes. Rendu le 24 avril 1945, ce jugement lui permet de voter aux élections municipales, dont le premier tour a lieu 5 jours plus tard. Pour la première fois de sa vie, à l’âge de 47 ans, Jeanne Sébastien peut se rendre aux urnes. Un acte citoyen qui paraît d'autant plus symbolique qu'elle a survécu à l'enfer concentrationnaire.
À l’issue du second tour, c’est l’Unité républicaine antifasciste de la Résistance qui remporte largement les élections. Conduite par Jean Philippot, qui devient maire de Nantes, cette liste est une coalition de partis de gauche et de mouvements de résistance (Front national, Parti communiste français, SFIO, Parti radical et radical-socialiste, Union des femmes françaises), comme le détaille Le Populaire de l'Ouest. Sur les 36 membres qui composent le nouveau conseil municipal, 6 femmes sont élues : Odette Aubineau, Émilie Le Jallé, Marie-Louise Laporte, Yvette Rollet, Louise Gravaud et Anne-Marie Turbaux-Le Pallier (194Z1), qui est la première femme à être élue adjointe au maire à Nantes.