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Document du mois - « La Française doit voter » : les suffragettes à Nantes en octobre 1934

Une photographie (26Fi322), récemment acquise par les Archives de Nantes, montre des militantes manifestant pour le droit de vote des femmes. Elle a été prise entre le 25 et le 28 octobre 1934, en marge du 31e Congrès du Parti radical qui se tient à Nantes, aux salons Mauduit. Ce document vient enrichir nos fonds pour témoigner du combat pour l’égalité des droits entre les hommes et les femmes. Il présente un intérêt historique indéniable, justifiant son entrée dans une collection publique. 

Lutter pour le suffrage féminin : Louise Weiss et le mouvement « La Femme nouvelle »

En 1934, date de cette photographie, les femmes ne sont ni électrices ni éligibles. Pourtant, après la Première Guerre mondiale, alors que les Françaises ont participé à l’effort de guerre, le contexte politique est devenu plus favorable. Plusieurs propositions de lois instaurant le vote des femmes aux élections locales sont adoptées par la Chambre des députés pendant l’entre-deux-guerres, mais elles sont toutes rejetées par le Sénat. Les années 1920 et 1930 voient alors les mouvements suffragistes multiplier leurs actions et grossir leurs rangs. Des femmes appartenant à toutes les professions et à toutes les classes sociales les rejoignent. Elles parviennent à imposer la question du suffrage féminin dans le débat public.

De nouvelles organisations luttant pour le droit de vote des femmes naissent à cette époque. Les militantes ici photographiées appartiennent au mouvement « La Femme nouvelle ». Celui-ci a été fondé en ce même mois d’octobre 1934 par Louise Weiss. Journaliste engagée en faveur de la paix et de l’émancipation des femmes, elle prône une forme de militantisme plus radical et plus moderne, sur le modèle des suffragettes anglaises et étasuniennes. Son siège, le Centre de propagande pour l’égalité des droits civils et politiques des Français et des Françaises, a pignon sur rue à une adresse prestigieuse. Installé au numéro 55 de l’avenue des Champs-Élysées à Paris, il sert de vitrine à l’organisation. Avec les membres de « La Femme nouvelle », Louise Weiss multiplie les actions spectaculaires et médiatiques à travers la France.

Manifestation féministe à la sortie du 31e Congrès radical, rue Arsène-Leloup, octobre 1934 (26Fi322)

Manifestation féministe à la sortie du 31e Congrès radical, rue Arsène-Leloup, octobre 1934 (26Fi322)

Le 31e Congrès radical, une occasion de convaincre les élus…

La présence de ces militantes en marge du 31e Congrès du Parti républicain, radical et radical-socialiste n’a rien du hasard. Les mouvements suffragistes se servent des congrès politiques, tout comme des élections locales ou nationales, pour mener des campagnes de sensibilisation et de propagande. Louise Weiss s’en explique dans la presse : « Le Congrès radical à l’ordre duquel se trouvent inscrits les problèmes de la réorganisation de l’État éludera-t-il ou non la question du vote des femmes ? Telle est l’interrogation que se posent dès maintenant les femmes inscrites au parti, et que se posent avec elles un certain nombre de radicaux soucieux d’assurer à leur formation politique une recrudescence d’adhésions féminines à la veille de réformes électorales qui pourraient fort bien, sans tarder, armer la population féminine française du bulletin de vote » (Le Phare de la Loire, 24 octobre 1934).

Ainsi, durant toute la durée du Congrès, du 25 au 28 octobre, les suffragettes de « La Femme nouvelle » font entendre leurs voix à Nantes. L’organisation s’associe avec des associations féministes et féminines locales, en dehors de toutes opinions politiques ou religieuses. « Par son action précise, pacifique, mais énergique, aux portes mêmes du congrès, elle conquerra sans doute à sa cause les éminents dirigeants du parti », veut croire Louise Weiss. Leur terrain d’action se situe donc à proximité immédiate des salons Mauduit où se réunissent les radicaux. Des affiches sont placardées dans le quartier, et des tracts sont distribués. Rue Arsène-Leloup, à la sortie des congressistes, les militantes brandissent une banderole au message clair et concis : « La Française doit voter ». Cette phrase est ancrée dans la rhétorique des mouvements féministes : depuis des années, elle est imprimée sur des affiches ou clamée lors de manifestations dans toute la France.

Le 26 octobre, une délégation de suffragettes nantaises est reçue par Édouard Herriot, président du Parti radical. Cette entrevue est annoncée dans les journaux : « Elles lui exposeront leurs revendications en s’élevant contre l’attitude des sénateurs radicaux défavorables au vote des femmes. Louise Weiss, qui conduira la délégation, fera remarquer au président du parti politique le plus important de France qu’il est vraiment paradoxal que les républicains ne soient pas aux côtés des femmes françaises pour défendre leur cause » (Le Phare de la Loire, 26 octobre 1934).

… et une tribune médiatique pour les suffragettes

Cette manifestation animée par « La Femme nouvelle » aux abords du Congrès radical entend certes rallier les politiques à sa cause, mais il s’agit aussi et surtout d’attirer l’attention de la presse et de marquer l’opinion publique. Louise Weiss sait particulièrement bien se servir des médias pour se faire entendre. Elle pense d’ailleurs nécessaire de « jeter le féminisme dans l’arène de l’actualité » pour réussir. Les actions qu’elle mène avec les militantes de son mouvement sont des coups d’éclat dans l’espace public. En interrompant des évènements tel qu’ici le Congrès radical, elles espèrent ainsi bénéficier de l’attention des journalistes déjà présents sur place. Différents quotidiens de la région tels Le Phare de la Loire ou Le Populaire de Nantes se font écho de leurs revendications.

Sur cette photographie, le cadrage laisse parfaitement deviner la couverture médiatique de l’évènement. Outre celui qui prend notre cliché, la main d'un autre photographe et son appareil sont visibles à droite. Plusieurs journalistes sont donc présents pour faire la chronique de cette manifestation. On connaît d’ailleurs au moins une autre image montrant ces suffragettes rue Arsène-Leloup.

Du 31e Congrès du Parti radical à la naissance du Front populaire

Ce congrès politique reste dans l’histoire à plus d’un titre. La veille de son lancement, le 24 octobre 1934, Maurice Thorez, le secrétaire général du Parti communiste français, prononce un discours dans une salle du quartier de Doulon. Il appelle à un « Front populaire de la liberté, du travail et de la paix ». Cette idée ne surgit pas de nulle part : la réflexion autour d’une union de la gauche est déjà en marche depuis quelques mois. Une violente manifestation des ligues d’extrême-droite le 6 février a en effet ébranlé le paysage politique. Pour les partis de gauche, « la République et la patrie sont en danger ». Si Maurice Thorez se déplace à Nantes au moment du congrès, c’est justement pour convaincre les radicaux de rejoindre le mouvement de réunification des forces de gauche, déjà impulsé par le rapprochement de la SFIO et du PCF au cours de l’été. Ce sera le Front populaire.

À la suite de la victoire remportée aux élections législatives de 1936, dans son gouvernement du Front populaire, Léon Blum nomme Cécile Brunschvicg, Suzanne Lacore et Irène Joliot-Curie sous-secrétaires d’État. Les femmes ne sont ni électrices ni éligibles mais elles entrent au gouvernement. À ce sujet, Louise Weiss dira : « Trois hirondelles ne font pas le printemps »… Le combat pour le droit de vote continue.

Les actions spectaculaires et ironiques de « La Femme nouvelle » se multiplient tout au long des années 1930. Elles connaissent un succès médiatique et populaire certain, mais il faut néanmoins attendre le 21 avril 1944 pour que les Françaises obtiennent le droit de vote, dans le contexte de refonte de la République après la Libération.

Pour en savoir plus

Chaque année, les Archives de Nantes font des acquisitions de documents d’origine privée : don, legs, achat en maison de vente aux enchères ou auprès d’un marchand… Ces archives privées sont l’occasion de compléter nos fonds pour témoigner de pans de l’histoire de la ville peu documentés ou peu connus.

Pour découvrir d’autres acquisitions récentes faites par les Archives, rendez-vous sur la page En coulisses de ce même site internet.

Vous parvenez à identifier les militantes qui tiennent la banderole ? N'hésitez pas à nous écrire pour nous le dire ! Vos informations viendront enrichir cet article.