Août 1944
2 août 1944
16h30. Bombardement des quartiers avoisinant la Loire : maisons démolies rue de Vertais, abattoir écrasé, bombes en Loire à Magellan et Pirmil.
Installations frigorifiques des abattoirs détruites par les bombardements, cliché pris en juillet 1944 (22Fi375)
4 août 1944
Un employé français de la Feldkommandantur vient demander à Monsieur le Maire qu’on envoie toutes nos ambulances au Loquidy pour évacuer des malades.
Cet employé informe Monsieur le Maire que tous les services allemands se préparent à évacuer la ville, les Américains se trouvant à 40 kilomètres de Nantes.
Les gens discutent en groupes dans la ville très calme, où ne circulent plus que de rares soldats allemands.
15 heures. Rue de Rennes, place du Port Communeau, les Nantais font la haie, attendant l’arrivée des Américains.
5 août 1944
Les services allemands sont revenus en partie. Ils déclarent que les Américains qui se sont infiltrés en Bretagne sont maintenant coupés à Avranches et seront anéantis.
Ils commencent à débarrasser le tunnel du chemin de fer des munitions qui s’y trouvaient. On peut espérer qu’ils ne le feront pas sauter, comme c’était prévu.
Monsieur le Maire fait des démarches pour obtenir que l’on débarrasse de mines le quai où se trouvait la refouleuse, qui avait dû être enlevée, d’où privation d’eau pour toute la ville. Cela est accordé.
Je vais à la Haye-Fouassière vers 15 heures, en reviens vers 17 heures. Tous les ponts sur la Loire sont minés. En outre des bombes d’avion non éclatées y sont déposées.
Vers le nord, on ne peut, paraît-il, sortir de Nantes que par des petits chemins.
6 août 1944
L’heure de police pour la circulation est avancée à 21 heures.
Communiqués par la voiture radio pour faire connaître à la population qu’il faut évacuer les alentours de Procé sur 50 mètres, et les régions entourant les fossés anti-chars sur 2 kilomètres de chaque côté.
Les bords de l’Erdre sont pleins de baigneurs et de promeneurs paisibles.
Conférence dans la cabinet de Monsieur le Maire avec Gringoire, qui craint qu’à partir de mercredi Nantes ne manque de pain. Lettre à Laraison à Pornic.
Monsieur le Maire a obtenu hier de la Kommandantur que des mines soient enlevées sur les quais pour permettre de remettre en service la refouleuse.
Dans la soirée, un ingénieur de la SNE (Société Nantaise d’Electricité) (Monsieur Caponi) déclare au Commissaire du 6ième Canton qu’un chauffeur de camion allemand l’a averti que le tunnel de la SNCF allait sauter cette nuit et qu’il serait bon d’alerter la population. Sous le couvert du commissaire central et sans plus ample informé, la police parcourt tout le quartier en enjoignant aux habitants d’évacuer d’urgence. Prévenu, Monsieur le Maire va trouver le Hafenkommandant, qui entre dans une grande colère, rappelant qu’il a promis à Monsieur la Maire de l’aviser au moins deux heures à l’avance si l’on faisait sauter des mines. La police allemande arrête un jeune homme de la Défense Passive qui s’était joint aux agents pour alerter la population. (Il est relâché dans la nuit.)
A grande peine, on parvient à rassurer les habitants et à leur faire réintégrer leurs domiciles.
Vers 22 heures, j’avais été voir Monsieur le Préfet, qui n’était au courant de rien, non plus que le Secrétaire Général et le Chef de Cabinet.
Devant Monsieur le Maire, Monsieur Sandras, Commissaire Central, déclare « qu’il s’est fié aux déclarations d’un notable » ! (alors qu’il s’agissait en réalité de propos tenus par un chauffeur de camion inconnu…).
7 août 1944
Le service d’eau par refouleuse est rétabli.
Je me rends vers 15h30 à la Propaganda, où Monsieur Menny me remet trois cent un exemplaires du « Livre Doré » en m’invitant à demander à Monsieur Marescad de lui faire parvenir tout de suite les pages qui doivent être supprimées (à partir de la Mairie Pageot).
9 août 1944
Monsieur le Feldkommandant convoque Monsieur le Préfet et Monsieur le Maire pour leur prescrire l’évacuation obligatoire des femmes, enfants, vieillards, habitant autour des fossés anti-chars ceinturant Nantes (2 kilomètres de chaque côté). Ces personnes seront dirigées sur la région au sud-ouest de Nantes de préférence.
Le bruit court que des éléments américains sont à Sautron et à Carquefou.
Le Préfet dit à Monsieur le Maire qu’Angers est aux mains des Américains.
Reçu hier la visite de Madame Abel Durand, qui a pu voir son mari à la gare d’Orléans vendredi soir, 4 août, avant son départ. Renseignements pris auprès du chef de gare. Le train a gagné Angers par Segré. Il a repartir d’Angers dimanche soir, 6 août en direction de Saumur.
16 heures. On apprend que les marins-pompiers font évacuer tout le quartier des chantiers et de la gare d’Etat, à l’ouest de la rue Louis Blanc et du boulevard Victor Hugo.
La Croix Rouge obtient des laissez-passer de la Kommandantur pour aller aux environs chercher du lait, dans les lignes américaines.
Cette nuit, les Allemands ont fait sauter des dépôts de munition à Château-Bougon.
Le service d’eau ne fonctionne plus, car la refouleuse a dû être de nouveau enlevée, les mines des quais ayant été amorcées.
Appel à la population suite aux scènes de pillage, le 8 août 1944 (6Fi6945)
10 août 1944
Dans la nuit, les Allemands ont fait sauter le pont de la Jonnelière, le dépôt des pétroles Jupiter.
Un navire flambe dans le port.
Les mines des ponts sont amorcées.
16h25. La canonnade paraît se préciser vers le nord-ouest.
Monsieur le Maire apprend que le Préfet a donné congé à tout le personnel de la Préfecture, à l’exception de trois ou quatre chefs de service.
L’électricité manque depuis cette nuit.
11 août 1944
11h30. Le Commandant Barutand fait savoir que des officiers et soldats allemands sont à la caserne des pompiers, où ils déclarent avoir l’ordre du Général de s’emparer de tout le matériel d’incendie.
A 11 heures, le lieutenant Menny (Propaganda-Staffel) est venu prendre congé de Monsieur le Maire.
Une unité allemande cantonnée à Vertou a conservé deux auto-pompes et trois camionnettes. Après démarches à la Préfecture et auprès du Général, on obtient de récupérer les deux auto-pompes et une camionnette contre sept autres camionnettes.
Depuis 48 heures, les explosions se succèdent en ville presque sans interruption.
17 heures. M’étant rendu quai de la Fosse pour voir où en étaient les destructions dans le Port, je constate que les quais ne sont pas encore très endommagés côté Fosse.
A ce moment, une vedette sillonne le port. Les Allemands qui l’occupent posent des mines dans tous les bateaux encore à flot et les font sauter.
J’assiste ainsi à l’explosion du refouleur qui servait à l’alimentation provisoire des conduites d’eau et que le Hafenkommandant avait promis à Monsieur le Maire de respecter.
La radio de Londres annonce depuis hier ou avant-hier que les Américains sont entrés à Nantes.
12 août 1944
Durant toute la nuit, mines, explosions, canonnade et fusillade. Plusieurs incendies. Ce matin, on apprend que les ponts sur la Loire ont sauté. La ville semble vide d’Allemands.
9h30. Les FFI se présentent chez Monsieur le Maire et se mettent à la disposition de la Municipalité pour contribuer à la police et au ravitaillement.
10 heures. On hisse le drapeau français à la façade centrale de l’Hôtel de Ville. Le Maire, les Adjoints et les représentants des FFI et de la Défense Passive, les Secrétaires Généraux de la Mairie saluent les couleurs dans la Cour d’Honneur. Sur la rue, la foule (peu nombreuse). On entonne la Marseillaise.
11h20. Devant l’Hôtel de Ville, la foule brûle un drapeau à croix gammée.
A 10h40, le grand pavois a été hissé au portique de l’Hôtel de Ville.
11h30. Le drapeau français est hissé au portail de Rosmadec, en présence du Maire, des Adjoints, des Secrétaires Généraux, des formations de la Défense Passive, de la Croix Rouge et des équipes nationales.
A ce moment Monsieur Mabit, de la Croix Rouge, m’informe que les Allemands occupent encore la place Pirmil.
Le pont de Pirmil est coupé à sa culée nord. Le pont Haudaudine est coupé. On peut passer, sur des planches, pont de la Madeleine.
12h20. Les premiers Américains arrivent devant la Mairie (deux voitures). On hisse sur la façade de l’Hôtel de Ville, de chaque côté du drapeau français, les drapeaux anglais et américain.
Un lieutenant-colonel, fort gaillard à la mine jeune et bien américaine, demande qu’on lui indique sur un plan de Nantes la situation des ponts et l’emplacement des troupes allemandes. Il est introduit dans le cabinet du Maire. Monsieur Kerr lui fournit en anglais les renseignements demandés. Une équipe de la Défense Passive part avec les Américains dans le quartier des Ponts.
Vers 16 heures, rues de Rennes et Strasbourg, défilé de troupes motorisées américaines entre une double haie qui acclame.
Dans l’après-midi, deux filles, accusées d’avoir cédé aux instances de membres de l’armée allemande, sont traînées dans les rues de la ville. L’une était brune, l’autre était blonde, ainsi qu’en témoignent leurs chevelures promenée au sommet de la hampe d’un drapeau français. Le lamentable cortège a passé devant la Mairie et la Préfecture, suivi d’une foule trépignante. Une trentaine de femmes avaient subi un sort analogue.
13 août 1944
Journée calme. Promeneurs, baigneurs et canoteurs sur l’Erdre.
14 août 1944
Un officier américain s’occupe avec Monsieur Launay du rétablissement du pompage d’eau en Loire.
Prévenu le Commandement des FFI installé au corps d’armée qu’il y aura demain cérémonie au Monument aux Morts.
Prévenu aussi Monsieur Caillaud.
Légère canonnade américaine au petit jour. De la rive sud, légère riposte allemande.
Monsieur le Maire relate à ses collègues et à moi-même la visite qu’il a reçu d’une dame (professeur au Lycée de Lyon), déléguée du Comité d’Alger : cette personne venait lui annoncer que Monsieur le Préfet Gaudard n’était pas autorisé à présider la manifestation de demain au Monument aux Morts, ni même à y assister. La cérémonie serait présidée par le Commissaire de la République. Quant à Monsieur le Maire, on le priait d’y assister à titre privé. Monsieur Orrion a déclaré alors qu’il ne croyait pas possible de s’y rendre dans de telles conditions. La déléguée a insisté vivement. Elle a précisé que Monsieur Gaudard ne resterait pas Préfet ; qu’en ce qui concerne la délégation municipale, sa nomination par Vichy ne permettait pas de la maintenir, mais que toutefois il n’existait contre elle aucun grief, hors la question de principe. Monsieur Orrion a répondu qu’il se sentait la conscience nette : "J’ai agi en Français de mon côté, comme vous du vôtre, et je serai profondément blessé d’être expulsé de la Mairie comme un malpropre". La déléguée a vivement protestée : "Nous savons, Monsieur le Maire, a-t-elle dit, car nous vous connaissons très bien au Comité d’Alger, que vous n’avez rien à vous reprocher et que vous avez toute la population derrière vous. La cérémonie de demain nous permettra de vous serrer la main en public et vous recevrez par la suite un témoignage officiel de notre estime. Mais il y a une loi qui nous oblige à rétablir les Municipalités en fonctions en 1939. Il ne nous manque qu’un Maire et nous le cherchons".
L’entretien s’est terminé après que la déléguée eût insisté à nouveau pour que Monsieur Orrion assistât à titre privé à la cérémonie de demain, au cours de laquelle le drapeau serait hissé, non pas par les marins pompiers comme il était prévu, mais par les FFI.
15 août 1944
11h30. Les couleurs sont hissées (par un marin) au Monument aux Morts, devant une foule nombreuse. Monsieur le Maire s’est rendu au Monument avec plusieurs Adjoints, à la tête de la formation de la Défense Passive. Discours de Jean Marin.
Quatre officiers (un Américain, deux Anglais, un Canadien) se présentant à 20h30 à la Mairie, pendant que nous dînons dans le jardin, avec Monsieur et Madame Caillaud, le Colonel Mauris, Monsieur Théry. Ils demandent des logements. J’envoie un employé du Secrétariat à l’Hôtel de la Duchesse Anne. Le gérant prétend qu’une partie de la literie a disparu en même temps que les Allemands ou après et qu’il ne peut donner satisfaction.
En fin de compte, les officiers sont dirigés vers le Lycée.
Monsieur Tébreau, convoqué, a été invité à préparer d’urgence des logements pour le cas où la même question se poserait ces jours-ci.
17 août 1944
Hier soir une batterie allemande a tiré vers le Pont-du-Cens, faisant plusieurs victimes dans la population.
Ce matin le bruit court que des Allemands circulent dans certaines parties de la ville.
L’incursion d’Allemands dans l’île qui s’étend entre le bras de la Madeleine et de Pirmil se confirme.
A 11h40, Monsieur Ottaviani, Secrétaire Général de la Préfecture, m’informe que l’armée américaine a ordonné l’évacuation immédiate de l’île.
Vers 15 heures, je me rends au pont de la Madeleine et assiste au défilé de trois pelotons de maquisards qui vont faire une perquisition générale dans l’île. Un service détaché du service du logement fonctionne chaussée de la Madeleine pour le relogement des évacués.
Monsieur Riallaud, de l’Economat, de retour de l’imprimerie du Commerce, m’informe que l’accès de l’Imprimerie a été interdit à Monsieur Bentz sous peine d’arrestation.
19 heures. Alexandre Vincent qu’un FFI a été cherché à la Chapelle Basse Mer en passant la Loire à la Varenne, est présenté pour assurer les fonctions de Préfet.
18 août 1944
Tir américain vers la rive sud de Pirmil. Les canons allemands, ayant riposté, sont attaqués par avions en piqué.
Plusieurs civils ont été blessés par la canonnade allemande.
19 août 1944
En l’absence de Monsieur le Maire, Monsieur Sablé reçoit deux représentants du parti communiste qui demandent que le drapeau de l’URSS soit posé à la façade de la Mairie.
J’indique que nous ne possédons pas de drapeau de l’URSS.
Il est entendu que les délégués viendront voir Monsieur le Maire vers 11 heures.
12h15. Visite à Alexandre Vincent qui vient de prendre ce matin ses fonctions de Préfet.
Vincent me raconte comment il a ramené sa famille de la Chapelle Basse Mer, sous la protection des FFI. Il a vu son père à travers une haie, en passant à la Varenne, mais il ne s’est pas montré.
Prise de fonctions d'Alexandre Vincent, préfet de la Loire-Inférieure nommé par le Commissaire de la République de la Région d'Angers, le 19 août 1944 (6Fi927)
20 août 1944
Des incidents se sont produits hier au Château où avait été transférée la Défense Passive. Les équipiers ont cru voir un espion et ont perquisitionné dans tout le Château. Puis ils ont alertés les FFI qui ont à leur tour perquisitionné. La plupart des serrures ont été ainsi fracturées. Monsieur Gauthier, cependant, était tenu en joue.
Je l’accompagne ce matin auprès de Monsieur Bourse, Commandant Civil de la Place, qui vise un certificat signé de moi et attestant que Monsieur Gauthier est bien Conservateur du Château.
Puis nous allons rendre compte des incidents au Commandant de Charette, rue Gambetta, à l’ancien bureau de la Place. (Le Commandant de Charrette est Commandant militaire des FFI pour le département.)
Monsieur de Charette a tendance à croire à la réalité de l’espion allemand du Château…
21 août 1944
Fortes explosions sur la rive sud de la Loire. Il semble que les allemands fassent sauter dépôts et ouvrages.
Dans la soirée, bruit de mitrailleuses. Les Américains doivent, paraît-il, traverser la Loire cette nuit.
22 août 1944
Visite du Bureau de la Bourse du Travail. Monsieur Rolant, Secrétaire, expose que les chômeurs embauchés sur les chantiers ouverts par la Ville gagnaient de fortes sommes au service des Allemands. Ils continuent à toucher salaires complets pendant que leurs camarades restés dans l’industrie sont à la portion congrue. Je conseille intervention près du service du travail et de la Préfecture.
23 août 1944
Depuis le 17 août, tous les jours quelques tirs d’artillerie, de part et d’autre, assez espacés.
Cet après-midi des Américains ont occupé des cours dans le quartier Madeleine et ont franchi le pont de la Madeleine avec du matériel. L’artillerie allemande a tiré. Un soldat américain a été tué, plusieurs ont été blessés ainsi que de civils.
A 17 heures, lettre du Préfet annonçant la libération de Paris par les FFI et prescrivant de sonner les cloches.
18 heures. Les cloches sonnent pendant dix minutes.
24 août 1944
Déjeuné chez Vincent, à la Préfecture, avec Blanc.
De la Préfecture nous assistons, après déjeuner, à une attaque d’avions en piqué sur la rive sud (bombes et mitrailleuses).
25 août 1944
Dîner de la Délégation Spéciale à Rosmadec.
26 août 1944
Un avion volant très lentement et bas a été attaqué par la DCA allemande et a piqué verticalement (au-dessus de la ville, vers le nord-ouest).
29 août 1944
Le bruit se répand ce matin que les Allemands, qui ont évacué Le Pellerin dimanche, auraient évacué hier Trentemoult et Pont-Rousseau. Des personnes de Trentemoult, sans pain depuis dix jours, sont venues chercher du pain à Nantes ce matin.
Les indications en ce sens se multiplient. Les communes de la rive sud ont pavoisé aux couleurs nationales.
30 août 1944
Monsieur Haury, délégué de la Municipalité sur la rive sud, vient rendre compte à Monsieur le Maire de ce qu’il a fait depuis le 12 août.
Réunion d’adieux de la Municipalité au personnel municipal.
31 août 1944
Installation de la nouvelle Municipalité par Monsieur le Préfet Vincent, en présence de la Municipalité sortante (salle Guépin).