Document du mois – Commerce-Grillaud : l’ouverture de la première ligne d’autobus en novembre 1924
À Nantes, les premiers autobus arrivent en 1924. À partir du 25 mai, ils circulent d’abord temporairement entre la place du Commerce et le Champ de Mars pour desservir l’Exposition nationale. La liaison est supprimée à la clôture de cet évènement à la fin du mois d’octobre. La Compagnie des tramways de Nantes décide alors d’ouvrir une nouvelle ligne entre la place du Commerce et la place de Grillaud. Ici mis en lumière, un courrier du directeur de la Compagnie au maire de Nantes (2O) témoigne de la volonté des deux acteurs de mettre rapidement en place un service d’autobus dans la ville. Inaugurée le 3 novembre 1924, la ligne Commerce-Grillaud annonce un projet plus large de développement des transports en commun dans la ville.
Des autobus pour desservir les quartiers excentrés
L’administration municipale et la Compagnie des tramways de Nantes (CTN) viennent en effet de renégocier la convention qui les lie pour l’exploitation des transports en commun dans la ville. À la suite d’intenses tractations, un 10e avenant à la convention est signé le 17 avril 1924. Par ce texte, la Ville de Nantes concède à la CTN le service d’omnibus automobile sur son territoire, « avec droit exclusif de stationnement sur la voie publique ».
La création de ces lignes d’autobus est motivée par la nécessité de desservir des quartiers éloignés du centre, où le tramway ne circule pas. Cette volonté n’est pas nouvelle : avant la Première Guerre mondiale, un accord avait été trouvé pour ouvrir de nouvelles lignes de tramways vers ces quartiers excentrés. Habitants, commerçants, industriels et employés réclament régulièrement d’être desservis par les transports en commun. Mais les difficultés économiques nées du conflit ajournent leur mise en place. Il faut donc attendre dix ans pour que la question soit réglée… par des autobus !
Si, en 1924, l’autobus est privilégié au tramway, c’est qu’il apparaît désormais comme un moyen de transport en commun novateur, plus souple et plus rapide à mettre en place. Trois lignes sont prévues : la ligne AA, entre la place Zola et Roche Maurice ; la ligne AB, entre la place du Commerce et la place de Grillaud ; et la ligne AC, entre la place du Bon Pasteur et le Repos de Jules César.
Une première ligne exploitée hors contrat
Dans ces conditions, la CTN décide d’agir rapidement, souhaitant « donner la preuve qu’elle tenait à doter les quartiers déshérités […] d’un service de transport en commun rénové et mieux adapté aux exigences de la vie d’une grande ville » (Le Phare de la Loire, 23 mai 1924, O2C24D5).
Dans ce courrier du 27 octobre, Paul Weiler, le directeur de la Compagnie, annonce au maire l’exploitation anticipée de la ligne Commerce-Grillaud : « Comme suite au désir que vous nous avez exprimé, nous avons l’honneur de vous informer que, sans attendre l’approbation définitive du 10e avenant à la convention du 2 juin 1905, notre Compagnie serait disposée à tenter l’essai d’un service d’autobus sur la ligne de la place du Commerce à la place de Grillaud, sitôt après la fin du service de l’Exposition ». Il l’informe des horaires et des arrêts prévus.
Mais la Compagnie prévient d’emblée qu’elle se garde « toute liberté de réduire ou même de supprimer le service tant que son fonctionnement ne constituera pas pour elle une obligation contractuelle ». Tant que l’avenant n’a pas été validé par l’administration supérieure, elle n’est en effet pas liée par contrat à la Ville pour assurer le transport en autobus. Elle assume donc seule l’investissement et les coûts d’exploitation de cette ligne.
Pour cette raison, la Compagnie peut fixer librement le prix des tickets d’autobus, sans que la Municipalité ait réellement son mot à dire (comme le montre la réponse de Paul Bellamy). Le billet se vend alors 50 centimes de francs, un tarif élevé pour l’époque. Paul Weiler défend ce choix : « l’autobus est encore un transport de luxe, dont le prix de revient dépasse celui du tramway ». Rapidement, la CTN fait d’ailleurs le constat que les services d’autobus donnent des résultats déficitaires.
Le voyage inaugural du 3 novembre 1924
Cette première ligne est donc desservie grâce aux trois véhicules déjà utilisés pour l’Exposition nationale. Ce sont des autobus Schneider, similaires à ceux qui circulent dans les rues de Paris – ils sont d’ailleurs produits dans les mêmes ateliers. Peints en jaune crème et marron, arborant les armoiries de Nantes, ils se caractérisent par leur plateforme arrière ouverte comme sur les tramways (167Z2 et 167Z1). C’est là que se tient le receveur, qui donne le départ. Quelques améliorations ont été apportées pour plus de confort des passagers : des fauteuils en rotin, des pneus à air, un bouton déclenchant une sonnerie électrique pour demander l’arrêt. Ces véhicules, qui peuvent transporter jusqu’à 40 personnes, resteront en circulation jusqu’en 1930.
Le jour de l’inauguration, le 3 novembre, le cortège officiel prend place à bord d’un autobus pavoisé à 9 h 30. Paul Bellamy, député-maire de Nantes, est présent. Après avoir parcouru toute la ligne jusqu’à son terminus, les invités font une halte au dépôt des autobus, situé à l’angle de la route de Vannes et du boulevard des Anglais. La direction de la Compagnie y offre le vin d’honneur. C’est là que Paul Weiler déclare : « Qui eut pu penser, lors de l’inauguration du premier tramway électrique de Nantes, le 15 novembre 1913, que dix années à peine s’écouleraient avant qu’un autre mode de transport vint non concurrencer, ni remplacer, mais compléter l’œuvre du rail ? » (Le Phare de la Loire, 3 novembre 1924, 22PRES140).
La concession du service d’autobus à la CTN est finalement approuvée par décret présidentiel, le 28 janvier 1927. Progressivement, le tramway disparaît au profit du bus, qui triomphe totalement après la Seconde Guerre mondiale.
Pour en savoir plus
Un siècle plus tard, 600 autobus circulent désormais dans les rues de Nantes. Ils font partie intégrante du quotidien des Nantais. Pour fêter ce centenaire, l’association Omnibus Nantes vous propose des voyages commentés sur le parcours de la ligne de 1924. Pour les détails du programme, c’est ici.
Pour connaître la suite de l'histoire des bus à Nantes, rendez-vous sur Nantes Patrimonia.