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Document du mois – Vue sur chantier : le n°8 quai de l’Hôpital et la reconstruction de l’Hôtel-Dieu

La reconstruction de l’Hôtel-Dieu, entreprise dans les années 1950 et 1960 à la suite des bombardements de la Seconde Guerre mondiale, bouleverse profondément la physionomie du quartier. Prise au début des années 1960, une photographie (147Z628) issue du fonds Champenois montre une maison à l’abandon, au coeur du chantier. Cet édifice en ruines est l’un des derniers vestiges encore debout des immeubles qui bordaient l’ancien quai de l’Hôpital. Son destin est désormais lié au futur établissement hospitalier qui est en train de sortir de terre.

Reconstruire l’Hôtel-Dieu après la guerre

Pendant la Seconde Guerre mondiale, Nantes subit d’intenses bombardements alliés qui font des milliers de victimes et détruisent de nombreux édifices. Le raid aérien du 16 septembre 1943 est l’un des plus meurtriers. Situé à proximité du port et des chantiers navals, deux objectifs militaires stratégiques, l’Hôtel-Dieu est très gravement touché. Outre les pertes humaines, 60 % des bâtiments sont inutilisables et irréparables. De l’hôpital construit en 1863, il ne reste désormais que des ruines. Jouxtant l’Hôtel-Dieu, l’École de médecine et de pharmacie est elle aussi en grande partie sinistrée. Pendant le reste du conflit, c’est l’hospice général de Saint-Jacques qui sert de lieu de repli sanitaire.

Au sortir de la guerre, la reconstruction de l’Hôtel-Dieu est rapidement envisagée. Hostile à l’idée de le rebâtir in situ, la municipalité nantaise soutient l’érection d’un nouvel hôpital au lieu-dit Le Bignon, sur la route de Vannes. Elle juge en effet « anachronique, malsaine et dangereuse » la localisation de l’Hôtel-Dieu en centre-ville, à proximité du port et des usines de la Prairie au Duc.

À l’inverse, la Commission administrative des hospices est favorable à sa reconstruction sur l’île Gloriette : le mémorandum Cadenat, rendu le 21 mars 1945, officialise cette position. Le corps médical s’exprime dans le même sens, soucieux de préserver la facilité d’accès de l’hôpital. En février 1947, la Ville valide la reconstruction de l’Hôtel-Dieu in situ et le chantier démarre en avril 1951. L’établissement prend le nom de Centre hospitalier régional (CHR) de Nantes.

Le n°8 quai de l'Hôpital au coeur du chantier du CHR au début des années 1960, cliché de Gilbert Champenois  (147Z628 - Fonds Champenois)

Le n°8 quai de l'Hôpital au coeur du chantier du CHR au début des années 1960, cliché de Gilbert Champenois (147Z628 - Fonds Champenois)

Un quartier transformé : l’emprise du nouvel hôpital au sein de l’îlot urbain

C’est Michel Roux-Spitz, architecte en chef chargé de la reconstruction de Nantes par le ministère de la Reconstruction et de l’Urbanisme (MRU), qui conçoit le plan du futur Hôtel-Dieu. Avec ses architectes adjoints, Pierre Joëssel, Jacques Postel-Vinay et Yves Liberge, ils proposent le projet d’un vaste bâtiment en croix. À ce bloc central venaient s’adjoindre de services annexes comme l’hôpital Mère-enfant.

Mais l’Hôtel-Dieu imaginé par Roux-Spitz s’étend au-delà de l’emprise qu’avait l’hôpital avant-guerre. Il vient empiéter sur l’emplacement de l’École de médecine et de pharmacie, mais aussi sur de nombreux terrains lotis qui appartiennent à des propriétaires privés. Le 23 mars 1951, un arrêté préfectoral déclare donc d’utilité publique l’acquisition par la Ville de Nantes d’immeubles situés place Alexis-Ricordeau, quai de l’Hôpital, rue Oudry rue Gaston-Veil, rue Banier, quai Moncousu et ruelle de la Faïencerie, en vue de la reconstruction de l’Hôtel-Dieu et de l’École de médecine et de pharmacie.

Le devenir du 8 quai de l’Hôpital

Située au n°8 quai de l’Hôpital, la maison visible sur la photographie fait partie des édifices concernés. Voisine de l’ancien Hôtel-Dieu, elle aussi a été endommagée lors des bombardements du 16 septembre 1943. Son acquisition est évoquée lors de la séance du 17 septembre 1951 de la Commission administrative des hospices : « La reconstruction de l’École de médecine et de l’Hôtel-Dieu va nécessiter l’arasement d’un immeuble en partie sinistré, sis n°8 de l’ancien quai de l’Hôpital et appartenant aux époux Bourquin ».

À cette date, l’immeuble de 5 niveaux est pourtant encore occupé par 35 locataires, avec trois commerces (un café, une épicerie et une échoppe de cordonnier). Leur relogement doit être assuré par le ministère de la Reconstruction et de l’Urbanisme, jusqu’à ce que Madame Bourquin ait fait reconstruire un immeuble sur le terrain de compensation qu’elle a reçu de l’Association de remembrement. Dans l’attente de l’arasement de l’immeuble, une toiture provisoire en papier goudronnée est néanmoins posée à la fin de l’année 1950, pour mettre à l’abri les locataires des infiltrations d’eau.  

La vente du n°8 quai de l’Hôpital est officialisée en mars 1952. 232 m² du terrain sont cédés à la Commission administrative des hospices pour le futur CHR, et les 66 m² restants sont acquis par la Ville pour la nouvelle École de médecine et de pharmacie. Les deux administrations se partagent le versement des 5 000 000 francs aux époux Bourquin. « Cette somme ne concerne que les constructions dans leur état actuel, les dommages de guerre restant appartenir aux vendeurs et le sol étant déjà transféré par arrêté ministériel du 11 juin 1947 à l’Association syndicale de remembrement de Nantes Les Ponts », précise le Conseil municipal dans sa délibération du 19 octobre 1951. Au-delà du système de péréquation destiné à indemniser les sinistrés, le remembrement est ainsi utilisé pour permettre à des projets d’aménagement urbain de voir le jour.

Les travaux de l’Hôtel-Dieu ayant été retardés par le décès de Michel Roux-Spitz, le n°8 quai de l’Hôpital se dresse encore au milieu du chantier au début des années 1960. Désormais inhabitée et laissée à l’abandon, son état s’est dégradé. Son rez-de-chaussée est ici dissimulé par un amas de remblai. Plusieurs autres photographies dans nos fonds témoignent de l'avancée du chantier autour de la maison en ruines : les images cotées 25Fi1239, 25Fi1244 et 25Fi4064, cette dernière ayant été prise le 4 mai 1960. La maison est probablement détruite peu de temps après, puisque l’hôpital accueille son premier patient en 1964.

Après le comblement des bras de la Loire dans les années 1930 (25Fi4699), la reconstruction de l’Hôtel-Dieu dans l’après-guerre bouleverse une nouvelle fois la physionomie du quartier de la Madeleine. Les entrepôts, les commerces et les immeubles peuplés par une population ouvrière laissent progressivement la place à l’architecture moderne du nouvel Hôtel-Dieu. En confrontant des architectures des deux époques dans un cadrage resserré, cette photographie témoigne de l’ampleur des transformations. Aujourd’hui s’ouvre une nouvelle étape dans l’histoire du quartier, avec le déménagement futur du CHU sur l’Ile de Nantes et la réflexion en cours sur le devenir des bâtiments de l’Hôtel-Dieu.

Le fonds Champenois aux Archives de Nantes

Ancien photographe, Gibert Champenois a fait don aux Archives de Nantes d’environ 1 300 clichés, sur plaques de verre, négatifs ou tirages papier, illustrant Nantes. Les photographies d’origine familiale du début du 20e siècle complètent les plus nombreuses prises de vues réalisées pendant près de 40 ans par Gilbert Champenois lui-même.

De la construction de la deuxième ligne de ponts sur la Loire à celle du pont de Cheviré, en passant par l’urbanisation de l’île Beaulieu, les activités portuaires et les chantiers navals, c’est la ville des années 1960 à 1990 qui reste en mémoire. Aux images nantaises viennent se rajouter des photographies de la côte atlantique, de La Turballe à Noirmoutier en passant par la Brière et Saint-Nazaire.

Le fonds Champenois, coté 147Z, est consultable sur notre catalogue en ligne.