Faire disparaître l’eau du centre-ville

Pendant l’entre-deux-guerres et jusqu’en 1946, l’État engage un vaste chantier de comblements de la Loire et de l’Erdre à Nantes. Ces travaux sont perçus comme nécessaires pour répondre au développement de la ville portuaire et industrielle.

Il s’agit notamment de repousser les crues de la Loire qui viennent régulièrement inonder la ville. Il est aussi urgent de résoudre le problème de fragilité des quais, que l’abaissement du niveau de l’eau à marée basse, par le dragage du lit de la Loire, a accentué en augmentant le courant du fleuve. Par la même occasion, les autorités entendent mettre fin aux difficultés de circulation que cause la voie ferrée qui coupe la ville en deux ; les espaces gagnés par les comblements sont attribués en grande partie au chemin de fer. Il est aussi question d'en finir avec l'insalubrité de l'Erdre, véritable déversoir des déchets provenant des diverses activités installées sur ses berges (lavandières, abattoirs, tanneries...).

La Municipalité, un temps réticente, accepte finalement le projet. Pour financer le coût estimé à 25 millions de francs, elle bénéficie du plan Dawes. Une partie des travaux se fait ainsi au compte des réparations de guerre dues par l’Allemagne à la France. Les comblements modifient considérablement le paysage de la « Venise de l’Ouest », en faisant disparaître quais, ponts et canaux.

Construction du tunnel Saint-Félix sous la place Duchesse-Anne, 17 décembre 1931 (13Fi1899)

Construction du tunnel Saint-Félix sous la place Duchesse-Anne, 17 décembre 1931 (13Fi1899)

Le creusement d’un tunnel-canal pour dévier l’Erdre

Dans ce contexte, il est prévu de détourner le cours naturel de l’Erdre. La rivière déviée devient souterraine : elle passe dans le tunnel Saint-Félix, sous les cours Saint-André et Saint-Pierre et la place Duchesse-Anne.

Le creusement de ce tunnel-canal est un chantier gigantesque. Malgré les protestations des riverains et des commerçants du quartier, les premiers coups de pioche sont donnés en décembre 1929. Quatre ans de travaux sont nécessaires, jusqu’en mars 1934. Jusqu’à 200 ouvriers sont employés au plus fort du chantier. Ils sont dirigés par trois entreprises : la société allemande Karl Brandt et les établissements nantais Ducos et Bernard.

Cette photographie témoigne de l’ampleur des travaux sur la place Duchesse-Anne. « Transformée en une sorte de chaotique ‘no man’s land » selon un journaliste du Phare de la Loire (28 mars 1934), la place est éventrée par une large galerie. Elle est encombrée de tas de pierres, de bois et de ferrailles. Une grue domine les autres engins de chantier. Des voies ferrées, installées dans la galerie, permettent aux wagonnets d’évacuer les déblais du creusement. La couverture du tunnel, en construction, est étayée par des pieux. Faite en béton armé, elle repose sur des piédroits qui descendent jusqu’au rocher.

Les derniers travaux achevés, le canal est mis en eau le 27 mars à 8 heures du matin. L’inauguration a lieu quelques jours plus tard, le 5 avril. Partant du quai Ceineray, les premiers bateaux remontent le tunnel de plus de 700 mètres de long et débouchent dans le canal Saint-Félix, près de l’usine Lefèvre-Utile.

L’inauguration du tunnel est un moment majeur des comblements à Nantes. Mais il faut encore attendre 1938 pour que débute le chantier de comblement de l’Erdre, du quai Ceineray à sa confluence avec la Loire. Ralentis par la crise économique et la Seconde Guerre mondiale, les travaux ne s’achèvent qu’en 1946. Le nouveau cours, qui prend place là où coulait le bras d’eau, est baptisé en l’honneur des 50 otages fusillés par les Allemands.  

Pour en savoir plus

Les Archives de Nantes conservent de nombreuses photographies du chantier de creusement du tunnel Saint-Félix. Vous pouvez les consulter sur le catalogue en ligne.

Explorez également un album thématique consacré à son inauguration en grande pompe le 5 avril 1934.

Pour en savoir plus sur les comblements et le tunnel Saint-Félix, rendez-vous sur Nantes Patrimonia.