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Guerre 1914-1918 : le monument aux morts, cours Saint-André

Dès 1918, le maire de Nantes, Paul Bellamy, décide d'ériger un monument aux morts de la Première Guerre mondiale.

Lors du conseil municipal du 14 novembre 1918, le maire imagine « une œuvre imposante, simple, sévère et monumentale » dans un cadre naturel (arbres, massifs de fleurs...) et propice au recueillement. Paul Bellamy évoque également la possibilité d'y disperser des cendres ou d'y déposer des plaques funéraires. Les discussions s'ouvrent.

 

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La loi du 25 octobre 1919, complétée par la loi de finances du 31 juillet 1920, engage l’Etat et fixe les barèmes des subventions aux communes qui envisagent d’honorer le souvenir de leurs disparus. Nantes ne fait pas exception à la règle et la ville est rapidement l’objet des sollicitations d’entreprises qui se sont spécialisées dans ce marché très particulier.

 

La conception du monument est confiée à l'architecte Camille Robida, grand mutilé de guerre et vice-président de l'Union Nationale des Mutilés et Réformés. L'entreprise Charrière réalise le monument en granit. La mairie décide d'ériger des « Tables mémoriales » en calcaire avec, gravés dessus, les noms des 5832 Poilus nantais morts sur le front. Ils seront classés par ordre alphabétique selon un principe républicain d'égalité. Ce monument est laïc et l'exposition d'un quelconque signe religieux est interdit. Les services de la ville font appel aux Nantais pour faire connaître les 5832 noms afin de pouvoir les graver sur les Tables.

 

 

 

Par ailleurs, Paul Bellamy décide de compléter le monument avec une statue : la Délivrance, sculptée par Émile Guillaume.

 

Ce projet mémoriel coûte cher, la ville de Nantes débourse 550 000 francs et l’État subventionne la construction à hauteur de 33 000 francs. Par ailleurs, les associations d'anciens combattants mettent en place des souscriptions, organisent des bals et des kermesses afin de récolter des fonds supplémentaires pour financer ce coûteux projet.

 

Plusieurs lieux sont étudiés pour ériger le monument : le Champs de Mars, un lieu à proximité de la Loire, la place de la Duchesse Anne, et l'extrémité du cours Saint-André. Le champs de Mars est exclu car de nombreuses manifestations publiques y sont organisées, telles que des foires ou des marchés.

 

La proximité de la Loire est écartée, car c'est un endroit trop bruyant et jugé non adapté au contexte de recueillement nécessaire pour un monument aux morts. La place de la Duchesse Anne est un temps privilégiée, mais l'implantation d'un monument aux morts de 14-18 à cet endroit entraînerait la modification de celui érigé aux Nantais morts pendant la guerre de 1870. D'ailleurs, les anciens combattants de la guerre franco-prussienne font entendre leur voix et nombreux sont ceux qui écrivent au maire pour s'opposer à l'implantation du monument aux morts de 14-18 place de la Duchesse Anne.

 

Finalement, l'extrémité du cours Saint-André, face à l'Erdre, est choisie. Les Tables se dresseront face au square Sully (actuel square du Maquis de Saffré) dans une continuité avec le monument de 1870, érigé à l'extrémité du cours Saint-Pierre, sans pour autant lui faire de l'ombre. L'atmosphère du square est calme ; les allées d'arbres étouffent les bruits de la ville, donnant une ambiance solennelle au lieu. La rue passant entre le cour et le square est condamnée et dallée pour laisser place à une esplanade qui peut accueillir la foule lors des commémorations.

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Le monument aux morts est inauguré le 17 juillet 1927, lors du IIIe Congrès de l'UNMR car, naturellement, les anciens combattants sont au centre des commémorations. Plusieurs personnalités politiques sont présentes : le député-maire de Nantes Paul Bellamy, le préfet de la Loire-Inférieure Paul Mathivet, le ministre de la guerre Paul Painlevé et le général commandant du IIe corps d'armée Camille Ragueneau. Lors de l'inauguration, les différentes associations d'anciens combattants et de victimes se rassemblent, chaque homme politique prononce un discours. Les associations et l'armée défilent devant les Tables, et des chants commémoratifs sont entonnés.

 

A travers ces événements, on peut souligner le rôle important des anciens combattants dans le déroulement des commémorations et dans la société d'après-guerre de manière générale. Tout d'abord, les anciens combattant participent fortement aux débats sur le monument et son emplacement. Que ce soit les anciens de 14-18 ou ceux de 1870, chacun a voix au chapitre. Par ailleurs, les anciens combattant de la Première Guerre mondiale s'organisent via des sociétés civiles que supervise l'UNMR. Cette dernière est très visible lors de l'inauguration du monument aux morts. Les anciens combattants s'associent pour défendre leurs droits. Le but de l'UNMR est de maintenir un lien entre les victimes de la guerre, de soutenir leurs revendications et de perpétuer la mémoire de ceux morts au combat. Les adhérents de l'UNMR veulent également que soit entendue leur voix dans le débat législatif d'après-guerre. Concrètement, l'UNMR met en place une action sociale : une prime à la natalité est versée pour encourager les naissances et le développement des familles nombreuses et la création d'une société de crédit immobilier permet de construire des maisons pour aider les victimes de la guerre à se loger.

 

Les débats soulevés autour du monument aux morts de 14-18 reflètent les débats mémoriels qui ont eu lieu à Nantes. Les conflits de mémoire y sont fréquents et il n'y a pas de consensus mémoriel. En effet, la municipalité de gauche a voulu un monument laïc et neutre, complété par la statue allégorique d'une femme nue. La droite nationaliste, cléricale et autoritaire reproche à la mairie de ne pas avoir fait bénir le monument, car selon elle, tous les soldats nantais morts au front étaient croyants, ou presque. L’Écho de la Loire estime que le monument aurait pu être érigé plus tôt, vu la simplicité du plan et reproche un « style funéraire pur et simple » où « absolument rien ne rappellera le Poilu ». Les anciens combattants veulent malgré tout maintenir l'image de l'Union Sacrée. L'érection de la statue de la Délivrance cristallise le conflit mémoriel et marque le début d'une affaire qui défraiera la chronique nantaise pendant plusieurs décennies.

 

Depuis 1927, le monument aux morts a été modifié à plusieurs reprises : on y a ajouté des éléments pour rendre hommage aux militaires morts lors des conflits suivants. Ainsi, un glaive en bas-relief, symbolisant l'armée de terre, a été apposé pour rendre hommage aux victimes de la Seconde Guerre mondiale. Une croix d'Agadez, ou Croix du Sud, a été rajoutée pour les victimes des conflits en Afrique du Nord de 1952 à 1962. Cette croix, originaire du sud du Sahara, désigne les quatre points cardinaux en référence aux populations nomades, les touaregs, qui peuplent ce désert. La Croix du Sud était souvent représentée sur les drapeaux de section des combattants en Afrique du Nord. Différentes plaques commémoratives ont été ajoutées pour rendre hommage aux victimes de la guerre d'Indochine, ainsi que pour les militaires morts lors d'autres théâtres d'opérations, plus récemment.

 

Les Tables mémoriales restaurées seront inaugurées le 11 novembre 2018. En effet, les Tables s'étaient dégradées à cause d'infiltrations d'eau. L'ensemble du monument a été nettoyé et les massifs de fleurs ont été retaillés ou remplacés. L'éclairage a également été changé afin de mieux mettre en valeur les Tables.